Mort de David Dewaele : La muse et gueule brisée de Bruno Dumont s'en est allée

Son nom n'est jamais sorti de la sphère cinéphile ou des spectateurs amateurs du cinéma de Bruno Dumont. Pas de quoi expliquer cette disparition, aussi triste qu'étonnante, dans le sens où elle nous parvient trois semaines après le fait tragique. Le 27 février, David Dewaele, acteur non professionnel, meurt d'un arrêt cardiaque à Hazebrouck, dans le Nord. Il avait 37 ans.

Alors que sort Camille Claudel 1915, dernier long-métrage de Bruno Dumont où le réalisateur dirige la professionnelle et prolifique Juliette Binoche, la mort de David Dewaele vient se poser comme un affront, presque un sombre présage. Lui, l'homme que Bruno Dumont considérait comme son "alter ego", dont la gueule cassée sera sublimée dans Hors Satan (2011), dernier film de Dumont avant Camille Claudel 1915. Lui, le mutique dont les paroles sont rares, cet espèce de nomade que le réalisateur rencontra un jour, via l'ANPE d'Hazebrouck. C'est pour le casting de Flandres (2006), premier des trois films dans lesquels joue David Dewaele, que le néo-acteur débarque : "David s'est présenté au casting sans aucune sorte de projet. Acteur ? Il n'avait aucune idée de ce que cela signifiait. Ça ou autre chose, c'était juste un petit boulot qui lui paierait ses clopes et ses bières. Lors de l'entretien, il a parlé plus ou moins de sa vie, plutôt plus moins que plus. L'épanchement n'était pas son genre. Et en mentant, à l'évidence. Mais sa présence terrienne, à la fois tendre et menaçante, était immédiate", raconte Bruno Dumont à Libération.

Non professionnel, David Dewaele incarne le cinéma d'en-bas, celui que peu connaissent. Et pour cause, le cinéaste qui révéla son regard si profond dit de lui qu'il est un "gosse de prolos, cabossé dans son enfance, élevé par une grand-mère chérie, devenu voyou, un peu voleur, souvent taulard, au RSA depuis toujours, bringuebalé entre ses histoires de bistros et de conversion à l'islam, ses soucis de drogue et d'alcool". Un portrait dur d'un homme brisé par la vie qui le lâchera bien trop vite. Discret en public, comme l'homme errant qu'il incarne dans Hors Satan, son premier véritable rôle, David Dewaele était "un seigneur, violent, ombrageux mais habité par une sensibilité hors norme" pour Bruno Dumont, l'un des rares cinéastes à pouvoir témoigner aujourd'hui de cet acteur disparu.

Loin des conventions, David Dewaele exprime une autre facette devant la caméra de Bruno Dumont, lequel se laissera dire que celui qui deviendra sa muse "savait se tenir devant une caméra et en faire une alliée". Tout ce que l'on peut rechercher chez un acteur. Trois ans après Flandres (Grand Prix au Festival de Cannes 2006), David Dewaele retrouve Bruno Dumont pour un rôle plus conséquent dans Hadewijch (2009), un film qui parle de foi et d'émancipation. Après avoir fait de deux jeunes filles ses héroïnes, Bruno Dumont confie un premier rôle à David Dewaele, son rôle, celui d'un homme, sorte de fantôme errant entre les dunes et les marais de la Côte d'Opale. De ce vagabond qui n'a pas nom, nous ne savons pas grand-chose, si ce n'est qu'il vit dans l'anonymat, de braconnage et de prières, une sorte de guérisseur de l'âme persuadé de pouvoir chasser le mal d'un village hanté par le démon.

Alors que Bruno Dumont s'offre la grande Juliette Binoche pour lui confier le rôle exigeant du sculpteur interné Camille Claudel, le cinéaste ne retrouvera pas son acteur pour l'occasion. Alors, le destin a voulu que David Dewaele reprenne son costume de vagabond.