La maison de Bourbon-Anjou est en deuil. Autour de son chef de file, le prince Louis de Bourbon, duc d'Anjou, prétendant légitimiste à la Couronne de France, et de son épouse la princesse Maria Margarita, qui l'épaulait, toute la famille légitimiste s'est rassemblée vendredi 22 mai 2012 pour un adieu chargé d'émotion à Emmanuelle de Dampierre, qui s'est éteinte le 3 mai à l'âge vénérable de 98 ans dans sa résidence du Palazzo Massimo, à Rome, ville où elle avait vu le jour le 8 novembre 1913.
Duchesse douairière d'Anjou et de Ségovie de par son mariage avec Jacques-Henri de Bourbon, célébré en 1935 et dissout en 1947 après avoir engendré deux enfants qui l'ont précédée dans la tombe (Alphonse et Gonzalve de Bourbon, morts respectivement en 1989 et 2000), Emmanuelle de Dampierre était honorée par les siens lors d'une messe de funérailles célébrée en l'église du Val-de-Grâce (Paris, Ve arr.) avant son inhumation en petit comité au cimetière de Passy (XVIe arr.), dans le caveau de la famille Dampierre (maison apparentée à la maison de Bourbon par le marquis Archambaud de Dampierre, duc de Bourbon au XIIIe siècle). Une page Facebook a d'ailleurs été créée, dédiée à cette journée de recueillement.
Le duc et la duchesse d'Anjou avaient associé au faire-part de décès et au faire-part de messe de funérailles leurs trois enfants, la princesse Eugenie (5 ans), le prince Louis (2 ans le 28 mai), duc de Bourgogne, et son jumeau le prince Alphonse, duc de Berry, mais leur ont évidemment épargné, compte tenu de leur jeune âge, ces moments douloureux liés à la disparition de leur arrière-grand-mère. Le prince Louis, 38 ans, qui était très proche de sa grand-mère (d'autant plus depuis le décès accidentel très brutal de son père Alphonse de Bourbon en 1989), pouvait compter sur le soutien de son épouse, et partager sa peine avec sa mère Carmen Martínez-Bordiú y Franco, 61 ans, reine douairière de France et de Navarre, qui avait divorcé d'Alphonse de Bourbon en 1982 (elle est aujourd'hui l'épouse en troisièmes noces de José Campos Garcia).
Le prince Jean, duc de Vendôme, représentant la Maison d'Orléans (81e dans l'ordre de succession légitimiste au trône de France, 3e dans l'ordre orléaniste après son père Henri et son frère François), assistait également à l'office, accompagné de son épouse la princesse Philomena, qui leur a donné en janvier un deuxième enfant, Antoinette, que sa mamn tenait dans ses bras durant l'office, après Gaston, né en novembre 2009. La Maison de France (dynastie capétienne), dont légitimistes (Bourbon d'Espagne, Louis de Bourbon) et orléanistes (Orléans, Henri d'Orléans) se disputent le leadership au regard des renonciations - admises ou non - des traités d'Utrecht (1713), se trouvait donc rassemblée dans le deuil.
Un geste d'union qui n'est pas anodin pour qui se souvient qu'Emmanuelle de Dampierre n'hésita pas à mettre son grain de sel dans la querelle entre légitimistes et orléanistes, tirant à boulets rouges sur Henri d'Orléans, comte de Paris, après que celui-ci avait octroyé à son neveu Charles-Philippe d'Orléans (actuel candidat aux législatives 2012) le titre de duc d'Anjou "sans aucun droit" en décembre 2004. La branche aînée de la Maison de Bourbon, dont le chef, le prince Louis, a hérité du titre de duc d'Anjou à la mort de son père en 1989, avait vivement condamné cet épisode, toujours sujet à controverse. Et Emmanuelle de Dampierre avait publié en février 2005 via le blog Artillerie royale une objection musclée, intitulée "Apanage en débat".
Emmanuelle de Dampierre, une vie...
Avec la mort d'Emmanuelle de Dampierre, c'est également le roman agité d'une vie peu ordinaire qui se referme. Née à Rome dans la noblesse italienne, fille de Roger de Dampierre (mort en 1975), vicomte de Dampierre, 2e duc pontifical de San Lorenzo Nuovo (d'où la mention "des DUCS de SAN LORENZO" sur le faire-part de décès officiel) et noble de Viterbe, et de l'aristocrate italienne Donna Vittoria Ruspoli (morte en 1982), des princes de Poggio Suasa et Cerveteri, elle avait connu une jeunesse perturbée par le divorce de ses parents en 1930. Après une période en proie aux difficultés financières de sa mère, qui la voit vivre un moment à Paris avant de revenir à Rome auprès de sa grand-mère maternelle anglo-américaine Josephine Mary, au Palazzo Ruspoli, tandis que sa mère se réfugie dans la peinture, elle semble en voie de satisfaire au désir de la famille avec un mariage avec un beau parti : le 4 mars 1935, Emmanuelle de Dampierre épouse en l'église baroque Saint-Ignace-de-Loyola de Rome Jaime de Borbón y Battenberg (Jacques Henri de Bourbon), duc de Ségovie, aîné des fils survivants du roi Alphonse XIII d'Espagne mais renonciateur au trône en 1933 (il reçut en compensation le titre de duc de Ségovie) en raison de son handicap (sourd-muet après une opération, dont il surmonta plus tard les effets, recouvrant l'usage de la parole).
De l'ornière où elle se trouvait, Emmanuelle de Dampierre devient alors dauphine puis reine de France (1941) pour les légitimistes français, tandis que l'Espagne lui reconnaît le titre de duchesse de Ségovie. Mais le mariage salvateur tourne au fiasco, grevé par les problèmes de comportement de son mari (adultères, alcool). Et malgré la naissance de deux fils, Alphonse, duc de Cadix, et Gonzalve, duc d'Aquitaine, il se délite au fil des années. En 1947, c'est la séparation : le mariage est dissout en 1947 par un tribunal de Bucarest et le divorce entériné en 1949 par la cour d'appel de Turin, mais l'union, non invalidée par l'Eglise, demeure actée en Espagne.
Sa deuxième tentative maritale ne sera pas plus couronnée de succès : elle épousera le 21 novembre 1949, à Vienne, Antonio Sozzani. L'Italie reconnaîtra ce mariage, mais pas l'Espagne, qui continuera à considérer Emmanuelle de Dampierre comme l'épouse de Jacques Henri de Bourbon, puis sa veuve après sa mort en 1975 - année où périt également son père Roger de Dampierre. Elle divorcera d'Antonio Sozzani, apparemment guère plus fidèle que son prédécesseur, en 1967. Puis se liera avec Federico Astarita, l'avocat italien qui s'était occupé de son premier divorce à Bucarest et à Turin, avec qui elle vivra cette fois une histoire beaucoup plus paisible.
Les années 1980 ne l'épargneront pas : Emmanuelle de Dampierre subira simultanément en 1982 le décès de sa mère Vittoria Ruspoli et le tumultueux divorce de son fils aîné, Alphonse, avec María del Carmen Martínez-Bordiú Franco. En 1983, son autre fils, Gonzalve, révélera être le père d'une fille, Stéphanie, née en 1968 à Miami d'une relation avec le mannequin américain Sandra Lee Landry. En 1984, un grave accident de voiture se produit dans les Pyrénées : François d'Assise de Bourbon, 12 ans, trouve la mort, tandis que son père Alphonse et son frère Louis de Bourbon en réchappent, non sans être grièvement blessés. En 1989, Alphonse de Bourbon périt dans un accident de ski aux Etats-Unis. Suite au décès de son père, Louis de Bourbon, alors âgé de 15 ans et qui hérite du titre de duc d'Anjou, part vivre avec son autre grand-mère, mais Emmanuelle de Dampierre l'assiste ou le représente lors de diverses cérémonies officielles.
Emmanuelle de Dampierre avait publié en 2003 ses mémoires.