L'heure n'est plus aux scandales et aux ressentiments publics, mais aux bons souvenirs et au recueillement : tout le Danemark, autour de la famille royale, disait mardi 20 février 2018 adieu au prince Henrik, époux pendant cinquante ans de la reine Margrethe II, une semaine après sa mort survenue le 13 février à l'âge de 83 ans au palais de Fredensborg.
Rien de très extravagant, mais au contraire de la sobriété et de l'intimité, pour les obsèques de celui qui, de son vivant, avait beaucoup souffert de ce qu'il jugeait comme un manque de considération et qui, à la fin de sa vie, était frappé de démence : en plusieurs occasions, Henrik s'était plaint très publiquement de ne pas être l'égal de sa femme, frustré par ce titre de prince consort dont il devait se contenter (et qu'il avait abandonné en 2016) au détriment de celui de roi et vexé d'être précédé par son fils aîné le prince héritier Frederik dans l'ordre de succession au trône. Pas d'obsèques nationales (mais télévisées, toutefois), pas de grande procession dans Copenhague (seulement un bref adieu aux abords de Fredensborg au départ du corbillard), pas d'inhumation dans la nécropole royale de la cathédrale de Roskilde, tradition royale à laquelle il avait décidé de se soustraire...
La dépouille du prince Henrik, né en 1934 Henri de Laborde de Monpezat à Talence en Gironde et devenu danois par son union avec Margrethe célébrée le 10 juin 1967, avait été transportée jeudi 15 février depuis Fredensborg, résidence utilisée traditionnellement en automne et au printemps par la famille royale où il s'est éteint, jusqu'à Amalienborg, le palais dans la capitale, suivie par la famille proche.
Sur son compte Instagram, la cour danoise avait publié une image du départ du cercueil de Fredensborg, immédiatement suivi par la reine Margrethe II et son petit-fils le prince Christian, une autre de son arrivée au palais de Christian IX, porté dans la chapelle du palais par 10 officiers de la Garde royale, puis une vidéo de la famille royale sortant sur le parvis après s'être recueillie lors d'un service religieux privé pour observer et apprécier fleurs et messages de condoléances déposés en nombre par le public. Tout le clan était naturellement uni autour de la souveraine : le prince Frederik et la princesse Mary avec leurs quatre enfants (Christian, Isabella et les jumeaux Vincent et Josephine), le prince Joachim et la princesse Marie avec les quatre leurs (Henrik et Athena ainsi que Nikolai et Felix), issus du premier mariage du prince. Le cercueil avait ultérieurement été placé dans la Salle des Chevaliers du palais.
Le lendemain, vendredi 16 février, à 18h, le cercueil du défunt avait été acheminé en la chapelle royale du palais de Christiansborg, siège entre autres du Parlement danois, pour un castrum doloris (littéralement, un "château de douleur") jusqu'à la date des obsèques. À la manière d'une chapelle ardente, il s'agit d'une très vieille tradition observée par la Maison royale de Danemark : la bière du prince Henrik était ainsi disposée sur un catafalque recouvert d'un drap de velours pourpre, veillée, toujours conformément à la tradition, par des officiers gradés des armées, et le public pouvait venir rendre hommage au défunt les samedi et lundi après-midi ainsi que le dimanche toute la journée. Sous réserve de ne prendre aucune photo, interdiction formelle.
La famille royale, elle, était venue se recueillir dans la matinée de samedi lors d'une cérémonie commémorative à laquelle deux cents personnes étaient conviées, dont la famille française du prince Henrik et des représentants de ses patronages. Il y avait même... ses teckels adorés.
La cérémonie d'obsèques a eu lieu ce mardi 19 février à 11h. Seulement 60 personnes, famille royale incluse, y assistaient et la couverture médiatique était délibérément minimale. Le service religieux fut court (45 minutes) mais chargé d'émotion, notamment lors de l'interprétation d'un psaume, et marqué par l'éloge funèbre prononcé par l'aumônier royal Erik Norman Svendsen : un long récit biographique de la vie du défunt jalonné de moments de grâce. Après avoir rappelé que le prince Henrik avait confié il y a quelques années penser à la mort tous les jours, non pas avec peur mais avec acceptation, l'homme d'Église a déroulé le fil de son existence, s'attardant entre autres sur son coup de foudre avec Margrethe, les débuts secrets de leur idylle, leurs fiançailles le 5 octobre 1966, ou encore le beau poème qu'il emprunta – avant d'en écrire lui-même beaucoup, auteur publié – au poète lyrique du XIXe siècle Christian Winther pour l'offrir à son épouse lors du dîner de leur mariage. "Ce jour-là, estime Erik Norman Svendsen, le Danemark a pris ce beau et élégant prince dans son coeur."
Dans son allocution, l'aumônier n'a rien occulté, ni des accomplissements remarquables du prince Henrik tant comme chef de famille que comme artiste prolixe (pianiste, compositeur, sculpteur et poète, qui a même publié des ouvrages de cuisine, et bien sûr producteur de vins au domaine du château de Cayx, qui se retrouvaient sur la table des banquets officiels), ni de son côté... irréductiblement "français !", "haut en couleur", "intrépide" et de ses coups de sang concernant son statut, mécontentement public qui est allé grandissant avec le temps. Tristement, il a aussi souligné que "les dernières années ont été difficiles pour le prince Henrik, qui sentait ses forces l'abandonner et sa mémoire faillir", avant que le diagnostic de démence ne soit partagé à l'automne 2017 par sa famille. "C'était à la fois triste et libérateur de savoir. Par la suite, nous avons tous compris à quel point il était embarrassant pour le prince d'être sous le feu des projecteurs, observe-t-il. Quand le froid et l'obscurité se sont installés dans le pays, il a fait deux voyages en Égypte pour trouver le soleil et la chaleur et reprendre des forces." Henrik avait finalement dû être rapatrié et hospitalisé, peu avant de rendre son dernier souffle. Comme pour faire l'ultime lien entre les deux pays, M. Svendsen a jeté sur le cercueil de la terre venue de la propriété vinicole de Cayx dans le Lot ainsi que celle venue du palais de Marselisborg d'Aarhus.
Évidemment très affectée, la reine Margrethe II de Danemark pouvait compter sur le soutien, outre celui de sa descendance, de ses soeurs la princesse Benedikte et la reine Anne-Marie. Tout au long de ces heures sombres, elle a paru aussi particulièrement proche de son petit-fils le prince Christian (12 ans), qui suit son père Frederik dans l'ordre de succession et avait de toute évidence le coeur bien lourd. La famille s'est ensuite réunie en privé à Amalienborg.
À l'issue du service religieux, assez court (45 minutes) et dont des images sont visibles sur le site de la chaîne DR, le cercueil enveloppé dans les couleurs du pays et les armes de la Maison royale a fait une dernière apparition publique, porté par dix officiers de la Garde royale, avant que la dépouille du prince Henrik soit incinérée, conformément à ses dernières volontés. Une partie de ses cendres doivent être répandues dans la mer, l'autre inhumée dans une urne dans les jardins privés du palais de Fredensborg.