L'opération de communication de crise du prince Andrew, trois mois après le suicide en prison de son ami Jeffrey Epstein et alors que la colère des femmes qu'il a exploitées sexuellement gronde, se solde par un fiasco retentissant : après avoir obtenu de sa mère la reine Elizabeth II, au terme d'une année de pourparlers, l'autorisation de répondre au scandale de l'affaire de moeurs à laquelle il est mêlé par le biais d'une interview télévisée qui s'est avérée calamiteuse, le duc d'York bat en retraite.
Mercredi 20 novembre 2019, soit quatre jours après la diffusion de son entretien en tête-à-tête avec la journaliste de la BBC Emily Maitlis, à retrouver en intégralité dans notre diaporama, le second fils de la monarque britannique, âgé de 59 ans, a annoncé qu'il se retirait de la vie publique : "Il est devenu clair pour moi ces derniers jours que les circonstances de mes liens passés avec Jeffrey Epstein sont devenues une perturbation majeure du travail de ma famille et du travail précieux que fournissent les nombreuses associations auxquelles je suis fier d'apporter mon soutien. En conséquence, j'ai demandé à Sa Majesté si je pouvais me retirer de mes engagements publics dans un avenir proche et elle m'a donné sa permission", annonce le communiqué diffusé par la palais de Buckingham. Les sources du magazine Hello! disent que la souveraine est totalement solidaire de la décision de son fils.
La "démission" du prince Andrew, aveu d'échec accablant, intervient alors que de nombreuses entreprises et universités avec lesquelles cet ancien représentant du commerce extérieur britannique collaborait ont pris leurs distances. Sous cet angle, on notera que l'allusion à ses "fiers" patronages n'est pas anodine... Mais sauver les apparences va être difficile : il fallait saisir l'occasion il y a quelques jours.
Le père des princesses Beatrice et Eugenie d'York était en effet attendu au tournant avec cette interview diffusée dans l'émission Newsnight et promise comme un échange à bâtons rompus, "sans aucun tabou". Comment un membre éminent de la famille royale britannique, représentant actif de la couronne d'Angleterre, pouvait-il entretenir une amitié avec le milliardaire américain Jeffrey Epstein, un homme convaincu de pédophilie et déjà condamné par le passé pour des faits de prostitution de mineure ? Après de longues années de silence, ses explications devaient apporter un éclairage indispensable sur plusieurs points embarrassants : outre leurs liens réels, depuis 1999 et réitérés après la peine de prison ferme purgée par le magnat à la fin des années 2000, le duc d'York devait affronter, enfin, les accusations formulées par Virginia Giuffre (Virginia Roberts, de son nom de jeune fille).
Le suicide de Jeffrey Epstein a laissé bien des questions sans réponses
Ancienne esclave sexuelle d'Epstein, celle-ci affirme depuis une dizaine d'années, dans un récit sordidement détaillé qui n'a pas varié, avoir été mise à la disposition du prince Andrew en trois occasions, en 2001 (elle avait alors 17 ans) et en 2002, et avoir eu des relations sexuelles avec lui. Des allégations que l'intéressé a continué à nier en bloc : "Ce n'est pas arrivé. Je peux vous assurer catégoriquement que cela n'est absolument jamais arrivé. Je ne me souviens absolument pas avoir jamais rencontré cette dame", a-t-il ainsi déclaré à la journaliste de la BBC, malgré une photographie attestant de leur entrevue largement diffusée dans les médias, sortant même de son chapeau un argument médical pour tenter de détruire la crédibilité du témoignage de son accusatrice. Contestant la véracité d'un épisode relaté par Virginia Giuffre - en l'occurrence, leur sortie dans un club privé de Londres, le Tramp, et le souvenir de la sueur du prince le soir de leur première rencontre -, il a en ainsi affirmé être atteint d'un trouble physiologique qui l'empêche de transpirer, résultant d'un traumatisme lié à son déploiement dans la Guerre des Malouines. En fait de réponses sans tabou, plutôt un sacré numéro de langue de bois...
Quatre jours plus tard, dans le communiqué du palais, il choisit à nouveau ses combats : "Je continue à regretter sans équivoque, doit le prince anglais, mon association mal-avisée avec Jeffrey Epstein. Son suicide a laissé bien des questions sans réponses, en particulier pour ses victimes, et je compatis profondément avec toutes les personnes affectées et qui veulent pouvoir tourner la page. Je ne peux qu'espérer qu'avec le temps elles soient capables de reconstruire leur vie. Bien entendu, je me tiens prêt à coopérer avec les autorités compétentes pour les besoins de l'enquête, si nécessaire."
Des mots qui semblent n'avoir que peu de poids face à l'ampleur du scandale et des reproches qui lui sont faits, lui qui n'avait pas eu un seul mot à l'endroit des victimes présumées d'Epstein lors de cette fameuse interview ultramédiatisée outre-Manche. Alors que le sujet a même impacté la classe politique britannique, à l'approche des élections législatives le 12 décembre, diverses entités ont, dans une réaction en chaîne accablante, coupé les ponts avec le prince Andrew : mardi, la banque Standard Chartered et le cabinet de conseil et d'audit KPMG ont ainsi annoncé qu'ils cesseraient de sponsoriser l'association du prince, "Pitch@Palace", qui aide des entrepreneurs et des start-up, suivis mercredi par le géant britannique des télécoms BT, sponsor d'un programme de financement d'apprentissage du numérique, iDEA, dont le duc d'York est le parrain. Et ce n'est qu'un début.
GJ