Maintes dénégations catégoriques et outragées par la voix du palais de Buckingham avaient étouffé tout espoir d'entendre un jour le prince Andrew s'exprimer en personne sur le scandale Jeffrey Epstein : ami de longue date du milliardaire américain convaincu de pédophilie, qui s'est donné la mort en prison le 10 août 2019 alors que plusieurs dizaines d'accusatrices réclamaient justice, le fils de la reine Elizabeth II a décidé d'enfin sortir de sa retraite et répondre publiquement aux allégations explicites et graphiques de l'une d'entre elles, qui le visent directement.
Cela fait de longues années que Virginia Roberts (Giuffre, de son nom d'épouse) a révélé comment elle est tombée, à l'âge de 15 ans et pendant quatre années, en esclavage sexuel sous le joug d'Epstein. Repérée en 1998 lors d'une fête au Mar-a-Lago de Donald Trump à Palm Beach par Ghislaine Maxwell, lieutenant et rabatteuse de l'homme d'affaires, puis formée à assouvir ses désirs ainsi que ceux des hommes à la disposition desquels il la mettait, elle a notamment relaté avec force détails et à plusieurs reprises trois entrevues avec le duc d'York au début des années 2000 ayant impliqué des interactions sexuelles. "Il sait ce qu'il a fait et il peut témoigner de cela. Il sait exactement ce qu'il a fait, j'espère qu'il l'avouera", a-t-elle lancé à son intention le 27 août dernier lors d'une audience tristement fameuse devant un tribunal de New York, au cours de laquelle plusieurs autres victimes présumées sont sorties de l'ombre et du silence.
Muré dans le silence, derrière les contre-feux lancés par la monarchie, depuis la première plainte déposée par Virginia Roberts ("sexuellement exploitée par des amis adultes d'Epstein, y compris des têtes couronnées") et son récit l'incriminant, le prince Andrew a choisi de réagir dans le cadre d'une interview télévisée accordée à Emily Maitlis et enregistrée pour le programme Newsnight de la BBC. À quelques heures de la diffusion, sur BBC 2 dans la soirée du samedi 16 novembre 2019, la journaliste a promis "un entretien où tous les coups étaient permis" et "sans question interdite". Aujourd'hui âgé de 59 ans (il en avait 41 lors de sa première rencontre avec Virginia, qui, en 2001, était elle âgée de 17 ans), le père des princesses Beatrice et Eugenie d'York évoquera pour la première fois publiquement son amitié avec Jeffrey Epstein, un ancien directeur d'investissement qui fut un temps proche de Bill Clinton et de Donald Trump. Une amitié avérée, née en 1999, qui avait connu en 2010 une publicité pour le moins inconvenante pour le prince et suscité une vive controverse, ce dernier ayant retrouvé le magnat à New York quelques mois seulement après sa remise en liberté au terme d'une peine de prison ferme pour une affaire de prostitution de mineure... Il avait, à l'époque, rechigné à combattre l'incendie, finissant par déclarer dans un communiqué qu'il ne voyait cet ami "que de manière sporadique et probablement pas plus d'une à deux fois par an", assurant n'avoir jamais observé ni soupçonné "le moindre comportement de nature à conduire à sa condamnation".
Si l'on attend avec impatience les éclaircissements du duc d'York concernant ses accointances – plutôt embarrassantes, d'autant plus pour un représentant majeur de la Couronne d'Angleterre – avec Jeffrey Epstein, Emily Maitlis et Newsnight n'ont communiqué aucun autre détail concernant la teneur de l'entretien. Toutes les questions étant autorisées, nul doute qu'il a été interrogé sur la véracité des allégations de Virginia Roberts au sujet de leurs multiples entrevues, allégations qu'il a jusqu'à présent toujours réfutées comme étant "sans aucun fondement". Le témoignage extrêmement détaillé de son accusatrice semble pourtant appeler quelques explications...
Il a commis des abus sexuels, il a participé
À plusieurs reprises – la dernière en date, au mois de septembre de cette année dans l'émission Dateline sur NBC –, Virginia Roberts a raconté, sans varier dans sa version des faits, ses trois rencontres avec le prince Andrew. La première, dont une photographie produite dans la presse témoigne, avait eu lieu en 2001 à Londres, au domicile de Ghislaine Maxwell. "Ghislaine a servi le thé et les gâteaux. Elle connaissait Sarah Ferguson [déjà à l'époque ex-épouse du duc d'York, dont il est resté très proche, NDLR] et ils se sont mis à parler, avec Andrew, de ses filles. Ghislaine a alors demandé à Andrew de deviner mon âge, il a mis dans le mille en répondant 17, et ils ont ri. Ghislaine a plaisanté, disant que je devenais trop vieille pour Jeffrey et qu'il allait bientôt devoir m'échanger", s'est-elle remémoré, avant de relater une sortie dans un club privé de la capitale anglaise, gardant un souvenir mitigé de son expérience sur la piste de danse avec le fils de la reine, puis de regagner le domicile de Maxwell avec pour consigne de faire pour Andrew "ce qu'elle [faisait] pour Jeffrey".
"Il n'était pas méchant ni quoi que ce soit, a-t-elle confié dans Dateline à propos de ce qu'il s'est passé à partir du moment où ils se sont retrouvés dans un bain ensemble, il a dit merci et des trucs vaguement sentimentaux, puis il s'en est allé. Je ne pouvais pas croire que même la royauté soit impliquée. Il nie que ce soit arrivé, il va continuer à nier, mais il connaît la vérité tout comme je la connais." Quelques semaines plus tard, c'est à New York, dans la bibliothèque du manoir de l'homme d'affaires à Manhattan, qu'elle se retrouvait sur les genoux du duc d'York, puis dans "le donjon". Quant à la troisième et dernière entrevue, elle aurait eu lieu dans la villa caribéenne du milliardaire, dans les îles Vierges, qui aurait été le théâtre d'une véritable "orgie" impliquant plusieurs mannequins russes. "Il a commis des abus sexuels, il a participé", a-t-elle dernièrement insisté...
Risqué, mais nécessaire
Sur le site de BBC News, le chroniqueur royal Jonny Dymond estime que la décision du prince Andrew de se prêter à un exercice aussi risqué que cet entretien télévisé en dit long sur la gravité de la situation et l'état de sa réputation. "Ce n'est pas une conversation au coin du feu avec un vieil ami, a-t-il souligné. C'est une longue interview, et vraisemblablement très fouillée sur le plan judiciaire, menée par l'une des meilleures de la BBC (...) Quand les membres de la famille royale parlent de leur vie privée, c'est généralement que c'est grave – comme Diana évoquant la déliquescence de son mariage et sa détresse, le prince Charles admettant son infidélité, ou Harry et Meghan disant combien ils ont la vie dure depuis leur mariage."
Wait and see...
GJ