Il y a un an presque jour pour jour, Sergueï Filine voyait sa vie basculer à tout jamais. Le 17 janvier 2013, le directeur du Bolchoï est en effet agressé à l'acide et se retrouve gravement brûlé au visage et aux yeux. Un drame qui va mettre en lumière les guerres internes et autres rivalités du célèbre théâtre moscovite, qui se remet aujourd'hui petit à petit après la condamnation à six ans de prison de l'un de ses danseurs, Pavel Dmitrichenko, coupable d'avoir commandité l'agression, et de ses deux complices. Un an après, Sergueï Filine a depuis fait son come-back au Bolchoï et revient aujourd'hui sur cette affaire romanesque dans une interview accordée au Figaro.
C'est les yeux désormais cachés derrière des lunettes de soleil que Sergueï Filine est arrivé à Paris, vendredi 10 janvier, à l'occasion de la présentation des Illusions perdues à l'Opéra Garnier. Des lunettes qui rappellent que le directeur est actuellement toujours en phase de guérison après sa terrible agression. "J'essaie de penser comment guérir le plus vite possible. Le processus médical est en cours, j'ai subi 25 opérations, il y en aura d'autres pour améliorer ma vue et je vais régulièrement en Allemagne suivre des soins", explique-t-il d'entrée. Et si ces soucis de santé l'ont éloigné physiquement du Bolchoï, ils ne l'ont pas empêché de garder un oeil sur les activités du théâtre. Et à continuer à travailler. "C'est de retour à Moscou [en septembre, NDLR] que j'ai réalisé que, pendant neuf mois, je n'avais en fait jamais cessé de travailler", raconte-t-il, précisant qu'il restait quotidiennement en contact avec les chorégraphes par téléphone et via Internet.
Physiquement touché, Sergueï Filine semble pourtant avoir toujours gardé le moral. Notamment grâce à l'aide de "l'amour" de ses proches et de sa passion toujours vive et intacte. "J'ai une femme formidable, des enfants, une mère, une soeur. Ils luttaient pour moi. La moindre des choses était de me battre à leurs côtés. Ensuite, ma vie, c'est le théâtre, ce n'est pas un travail, c'est beaucoup plus", lance le directeur artistique du Bolchoï, qui espère que ce drame servira à l'institution de "nouveau départ" et à faire table rase des "jalousies" et autres "révoltes".
En termes d'inimitiés, Sergueï Filine subissait de son côté les critiques récurrentes de Nikolaï Tsiskaridze, danseur étoile vedette et grand rival notoire, qui s'est même permis de mettre de l'huile sur le feu en sous-entendant que le directeur du Bolchoï exagérait ses blessures. Viré de l'institution, Nikolaï Tsiskaridze est désormais à la tête de la prestigieuse école de Vaganova, à Saint-Pétersbourg, ce que Sergueï Filine n'a pas manqué de commenter, avec une pointe d'ironie et de philosophie. "C'est le meilleur professeur de danse du monde (rires). La rivalité, c'est comme l'amour : quand on l'a en soi, ça ne peut pas finir", confie-t-il.
C'est tout en philosophie que Sergueï Filine commentera également la condamnation de Pavel Dmitrichenko, commanditaire de l'agression, et de ses complices, à six ans de prison. En est-il satisfait ? "C'est difficile à dire. Je n'ai pas plus eu envie de punir que de vitrioler qui que ce soit. Comment, dès lors, juger la punition ? Qui me rendra mes yeux ? Mes agresseurs sortiront de prison avec la vue et pleins de force. Si la justice décide que prendre les yeux de quelqu'un vaut six ans d'emprisonnement, je ne peux que m'incliner. Mais je suis sur un autre chemin", assure-t-il.
Mais s'il est sur un autre chemin, tout n'est pas terminé pour Sergueï Filine. En plus de sa guérison encore incomplète, l'affaire pourrait refaire la une avec l'appel de la décision de justice interjeté par Pavel Dmitrichenko, soutenu par un groupe d'artistes qui le dit manipulé. Ce qui ne semble pas le gêner : "Ils ne sont pas inquiétés dans le théâtre. Je suis contre la pensée unique !" Preuve de plus que le directeur artistique souhaite bien voir le Bolchoï prendre un "nouveau départ"...