C'est déjà terminé pour Virginie Razzano à Roland-Garros. Elle a accompli la dernière volonté de son compagnon et ancien coach, Stéphane Vidal, décédé lundi 17 mai à l'âge de 32 ans des suites d'une tumeur au cerveau dont il souffrait depuis neuf ans. Comme il le lui a demandé, elle n'a pas renoncé aux Internationaux de France, elle s'est battue, avec ses armes, avec sa volonté, avec cette force qu'elle doit à Stéphane et qu'elle décrivait dans une poignante oraison funèbre, pour lui une fois encore, comme à chacune de ses sorties sur le circuit, comme à la Fed Cup le mois dernier, où elle n'a rien laissé paraître de sa tristesse alors que Stéphane mourait, car elle savait qu'il voulait la voir "en bagarreuse".
Mardi 24 mai 2011, Virginie Razzano, 28 ans et 93e mondiale, avait les honneurs du central Philippe-Chatrier à la Porte d'Auteuil, pour défier la tête de série n°24, une Australienne méconnue, Jarmila Gajdosova. Le match n'avait pas grand-chose d'une affiche, mais l'oeuvre de courage de Virginie Razzano, si. Face à plus forte qu'elle, la Française s'est inclinée (6-3, 6-1), mais l'essentiel était ailleurs. Jamais une défaite au premier tour n'aura autant forcé l'admiration. L'attitude de son adversaire de 24 ans ne trompe pas, avec l'accolade et la bise qu'elle lui a faites avant qu'elles se séparent (un geste "très amical" que Virginie a "beaucoup apprécié"), et l'ovation émue et bouleversante du public non plus.
D'ailleurs, le compte-rendu de match de lequipe.fr ne s'encombre pas de timeline et de détails techniques, mais dresse le portrait poignant d'une femme d'honneur : "Digne et courageuse, elle joue pour ne pas s'effondrer. Comme un funambule, elle doit avancer pour ne pas perdre l'équilibre et tomber. " Un peu perdue ", elle assume sa promesse avec dignité. Elle ne cherche pas la pitié, ne demande rien, elle impose juste le respect. Les vraies douleurs conduisent à des comportements exceptionnels. Virginie Razzano vient de donner une leçon de vie sans morale ni pathos. Juste vraie et sincère comme elle. Sur le court, elle a toujours montré une attitude de combattante sans maniérisme ni faux semblant. Ce mardi, elle garde son credo malgré son immense douleur. Elle vient de saluer la mémoire de son compagnon de la plus belle des façons en livrant un vrai match de tennis."
Tandis que ses compatriotes engagées sur la terre battue parisienne arboreront pour la plupart un ruban noir en hommage à Stéphane et en signe de compassion avec Virginie, comme le fit une Alizé Cornet très émue lors de son premier tour, Virginie Razzano va pouvoir, cette fois, se consacrer à son deuil, "essayer de le vivre le mieux possible", selon ses termes. Sans avoir besoin de rester forte pour Stéphane, qui lui avait caché l'aggravation de son état ces derniers mois, pour la préserver. Avant cela, il lui restait encore à effectuer sa sortie : "Je suis très émue, j'étais là pour Stéphane, c'était très dur avant d'entrer sur le court, il y avait beaucoup d'émotion et beaucoup de douleur. La douleur est là en permanence. J'ai essayé de rendre hommage à Stéphane aujourd'hui. C'était presque mission impossible mais j'ai fait mon maximum", a déclaré Virginie Razzano au sortir de son match.
"J'ai pris mon courage à deux mains, je n'en ai pas beaucoup. Je suis très fragile, je me sens seule, je suis en deuil de l'homme de ma vie, l'homme que j'aime et que j'aimerai toujours"
En salle de presse, elle bouleverse les journalistes. Sophie Dorgan, qui a couvert le match pour L'Equipe, twitte : "Le courage de Virgnie Razzano inspire le respect. En l'écoutant, de nombreux journalistes ne peuvent retenir leurs larmes." Puis rapporte le nouvel hommage aussi déchirant que courageux de Virginie à l'homme dont elle a partagé la vie dix ans, dont neuf en ménage à trois avec la tumeur (que Sophie nous pardonne de reproduire presque en intégralité les propos qu'elle a recueillis, mais il semblerait irrespectueux de les amputer) : "Avant c'était lui avec moi, maintenant c'est moi avec lui. Je porterai toujours cette chaîne avec moi. C'est pour me réconforter et sentir qu'il est avec moi (...) Cette force est inexplicable. Elle est forte. Il m'a fallu beaucoup de courage pour entrer sur le court aujourd'hui. J'avais beaucoup d'émotions parce que c'est très difficile d'être là aujourd'hui. C'est dur, ça fait mal (...) C'est pour cela qu'on était bien ensemble. On arrivait à être courageux et à se battre jour après jour (...) Aujourd'hui, je l'ai fait parce qu'il fallait que je le fasse (...) J'ai pris mon courage à deux mains, je n'en ai pas beaucoup. Je suis très fragile, je me sens seule même si j'ai beaucoup de gens autour de moi qui me soutiennent (elle se met à pleurer après avoir longtemps retenu ses larmes puis continue). Mais j'ai encore cette force en moi qui me maintient debout et me fait avancer petit à petit. Je suis en deuil, le deuil est difficile à vivre, surtout quand on perd quelqu'un qui était (elle s'arrête et s'excuse) et qui sera toujours l'homme de ma vie. L'homme que j'aime et que j'aimerai toujours. J'ai des souvenirs très forts dans les bons et les moins bons moments. C'est une histoire et une vie qu'on a créée ensemble depuis onze ans et que je poursuivrai par mon sport, ma passion, le tennis. C'est pour moi une force, mon courage et mon mental. Je vais me reconstruire petit à petit, vivre mon deuil et me laisser du temps."