Lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, la cinéaste Houda Benyamina a réveillé l'assemblée en arrivant sur scène, avec ses actrices. Elle a décroché la Caméra d'or avec son premier long métrage Divines et s'est lancée dans un discours intense, drôle et émouvant. Certains diront vulgaire, car quelques gros mots ont pu lui échapper, mais ce n'est pas cela que l'on retiendra de son passage sous les projecteurs. C'est une femme déterminée, passionnée et passionnante qui a été applaudie. Purepeople l'a rencontrée après l'euphorie cannoise, à la veille de la sortie, et c'est avec toujours autant d'enthousiasme qu'elle défend son film et ses convictions.
Divines raconte l'histoire de Dounia. Elle plaque le lycée pour aller travailler pour la charismatique dealeuse du quartier. À ses côtés, sa meilleure amie Maimouna, qui vit avec elle cette ascension puis la descente aux enfers inéluctable. C'est un film dont le récit se déroule en banlieue mais qui n'est pas sur la banlieue. Il raconte le destin de filles qui aspirent à autre chose que ce dans quoi elles sont confinées. Le décor n'est d'ailleurs pas seulement la cité mais un camp de Roms, lieu de la misère sociale d'aujourd'hui, brutale et métissée. Pas question de communauté dans ce long métrage, mais de personnes, d'êtres animés de l'envie violente de s'en sortir. Le premier rôle revient à Oulaya Amamra, soeur de la réalisatrice, qui a bataillé ferme pour créer son personnage et convaincre son aînée qui la trouvait trop délicate pour l'incarner. Oulaya forme avec Déborah Lukumuena un duo de femmes bouleversant, unies à la vie, à la mort.
"T'as du clito"
Réplique culte de son film qu'Houda Benyamina a répétée sur la scène du Festival de Cannes, "t'as du clito" reste dans les mémoires. Une petite phrase nourrie de liberté, de féminisme et d'humour. "Elle vient de moi. C'est vraiment une pure invention. Un jour, une femme a dit : 'Moi j'ai des couilles.' Et j'ai répondu, non, toi tu n'as pas de couilles, t'as du clito.' C'était injuste que les hommes aient leur expression, et pas nous." Au moment de son discours cannois, elle a peut-être été en tendance Twitter à un instant T, faisant l'objet de remarques pas forcément agréables. Mais elle accepte la critique : "Les gens ont le droit de ne pas m'aimer, mais qu'ils aillent voir mon film, qu'ils jugent mon travail. Quand on devient une personne publique comme je suis en train de le devenir, il faut être prêt à accepter qu'on ne t'aime pas. "
"Le cinéma est obligé d'être en phase avec la société. La marche de l'histoire l'impose. Aujourd'hui, le quotidien des femmes, c'est aussi la réussite, le pouvoir, la reconnaissance, ce n'est pas seulement être l'attribut des hommes." Houda Benyamina prend l'exemple de la dealeuse de son film, Jisca, interprétée avec brio par Jisca Kalvanda : "Elle est inspirée d'un véritable personnage, qui est incroyable dans la vraie vie, plus que dans mon film. Encore plus drôle."
"Des personnages qui débordent d'humanité"
"J'ai voulu raconter une grande histoire d'amitié, avec des questions. J'avais envie de faire un constat de la société dans laquelle je vis, d'être dans l'émotion avec des personnages absolus, entiers, Maimouna, c'est la meilleure amie idéale, prête à faire n'importe quoi pour sa copine, Dounia est dans son désir absolu de reconnaissance et de dignité, elle est prête à tout pour y arriver. Ce sont des personnages hors norme, des monstres, des héroïnes. Au cinéma, je n'ai pas envie de voir du banal. D'ailleurs, parfois, le quotidien est plus intéressant que certains films. Il y a beaucoup plus de diversités, plus de gens hauts en couleur, qui transpirent d'humanité. En les voyant, je me disais : je veux des personnages qui débordent d'humanité."
"Je n'ai pas le temps d'attendre que les mentalités changent"
Houda Benyamina estime qu'elle se reconnaît aujourd'hui plus dans le cinéma qu'il y a dix ans : "Je ne vais pas dire que ça n'a pas progressé depuis une décennie. Mais ça pourrait être encore mieux, nuance-t-elle toutefois. Aux États-Unis, ils ont instauré des lois, des quotas. Je milite pour la discrimination positive. Je n'ai pas le temps d'attendre que les mentalités changent."
Que ce soit en matière de diversité ou de parité, Houda Benyamina se sent concernée. Interrogée sur les propos de Maïwenn, dont elle loue le génie et dont elle comprend l'envie de ne pas être définie sur son statut de femme, la réalisatrice de Divines ne veut toutefois pas se décharger de cette problématique : "Je me sens concernée. Je trouve qu'il n'y a pas assez de femmes. Le jour où on aura droit à la médiocrité, on aura atteint la parité. Il faut militer, il faut ouvrir sa gueule, il faut arrêter d'être polie. Pourquoi sur les quatre sélectionneurs à Cannes, il n'y a pas une seule femme ? Pas de diversité ? Si on veut un cinéma qui nous ressemble, il faut bien que les gens qui sont décisionnaires, à la tête du financement du cinéma, soient aussi issus de la diversité."
Houda Benyamina a grandi à Viry-Châtillon, où elle a vécu une enfance heureuse. Mais sa scolarité ne suit pas et elle s'oriente vers un CAP coiffure. Grâce au théâtre, elle se découvre une fibre artistique et un surveillant repère sa vivacité. Elle reprend un cursus normal obtient un bac littéraire et réussit à entrer à l'Erac, grande école d'acteurs à Cannes. Mais en sortant diplômée, lasse de se voir proposer des rôles de "beurette qui se bat contre sa famille qui veut l'envoyer au bled", Houda Benyamina prend les choses en main. On n'est jamais mieux servi que soi-même, dit-on, alors elle fonde l'association 1000 Visages. "C'est très bien structuré et l'organisation s'occupe de plusieurs choses : la détection de talents, l'éducation à l'image, très jeune, pour faire découvrir le cinéma à ceux qui en sont éloignés géographiquement, culturellement, socialement, et les accompagnements de projets, on a une bourse par exemple. Je me suis formée grâce à mon association. Déborah, Oulaya et Jisca sont des produits de mon association. Ce sont les premières filles que j'ai formées. Au lieu d'être contre et de critiquer tout ce qui se fait, je voulais essayer de voir ce qu'on peut apporter. Quels outils peuvent être mis en place, pour faire évoluer les choses. Mon association m'a permis de faire des films, on va voir si on peut aider d'autres jeunes." Plus d'informations sur le site de l'organisation.