Aujourd'hui, les trente-cinq heures sont ancrées dans la vie professionnelle. Cela fait en effet plus de vingt ans que la réduction du temps de travail est de mise dans le monde du travail. Associée au nom de Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi, elle n'est finalement pas seulement de son fait, loin de là. Dans ses mémoires, Tu sais bien, le temps passe, Souvenirs, souvenirs 2, - citées par le magazine Le Point - la journaliste Catherine Nay revient sur l'imbroglio politique associé à cette mesure phare de l'économie française et sur le rôle de Dominique Strauss-Kahn, à l'époque conseiller économique, avant d'être patron du FMI et déchu de la politique.
Dans la deuxième moitié de la décennie 1990, la priorité de Lionel Jospin est la lutte contre le chômage. La droite avait déjà réfléchi aux trente-cinq heures facultatives, mais la question était désormais de les rendre obligatoire. Lionel Jospin, premier secrétaire du Parti socialiste, avait confié à Dominique Strauss-Kahn, son conseiller économique, le soin de lui écrire en toute hâte son programme pour les législatives en 1997 et songeait d'abord à créer des emplois jeunes.
La mise en place des 35h obligatoires "incombe à Lionel Jospin et à lui seul", écrit Catherine Nay. D'un côté, Henri Emmanuelli, "jugeait la mesure absolument indispensable pour s'assurer le soutien de la gauche du parti et au-delà". De l'autre, Dominique Strauss-Khan craignait de l'imposer aux entreprises qui risquaient de perdre en compétitivité et donc en emploi. Mais le futur premier ministre de la cohabitation Jospin a décidé : "Je suis politiquement d'accord avec toi, Henri, et économiquement d'accord avec toi, Dominique."
Dans son discours de politique général prononcé en 1997 à l'Assemblée nationale, Lionel Jospin veut tout miser sur l'emploi avant la fin de la législature en 2002. Quand la ministre Martine Aubry relit le discours quinze minutes avant de le prononcer, elle est choquée parce ce qui est présenté sur les 35h, sans concertation avec le patronat et le syndicat. Mais elle se plie. DSK ne cautionne pas non plus mais il fera porter "l'entière responsabilité sur les épaules de Martine Aubry", écrit Catherine Nay. Il l'aurait même décrite ainsi à un conseiller avec qui il déjeunait, Raymond Soubie : "Martine est folle ! Martine est folle !" Décision très critiquée à droite, les 35h seront mises en place et gardées par les présidences suivantes, trop compliquées à remettre en cause. Martine Aubry gardera l'étiquette de "Dame des trente-cinq heures". Dans le livre Martine Aubry : les secrets d'une ambition, la fille de Jacques Delors assumera cette loi, "y compris ses erreurs".