Ils sont des milliers. Des milliers à être apparus sur les listes HSBC, titulaires d'un compte dans la filiale suisse de la banque britannique à Genève. Des avocats, des hommes d'affaires, des comédiens, des musiciens, des sportifs, tous potentiels évadés fiscaux sur lesquels enquête le fisc français... Le Monde révèle les noms et les dessous d'une affaire où les sommes se comptent en milliards d'euros.
Données cryptées et services secrets
Tout commence en 2008, lorsque l'informaticien Hervé Falciani transmet aux services de la DNEF, la direction nationale d'enquêtes fiscales, le service de renseignement du fisc français, des données cryptées contenant des milliers de noms de fraudeurs français et étrangers, tous détenteurs de comptes à la HSBC suisse. Ce sont pas moins de 4,5 milliards d'euros qui dormiraient sur ces comptes, parfois en toute légalité, parfois en toute illégalité.
Une fois décryptées au terme d'un scénario digne des plus grands films d'espionnage, ces données ont révélé des noms. Des noms de potentiels évadés fiscaux, célèbres, évoluant dans toutes les sphères de la société. Si bien que l'apparition de certains noms dérangeaient en très haut lieu. Dès lors, l'affaire HSBC va connaître plusieurs rebondissements, entre magistrats dessaisis, patron de la DNEF virés, double enquête, interventions pour orienter les enquêtes... Au final, et malgré plusieurs tentatives de faire disparaître certaines données, les noms sortent. Environ 2 900 noms et des avoirs dissimulés de 166 802 euros par foyer fiscal en moyenne.
Situations légales... et illégales
Mais qui sont ces personnalités, titulaires d'un compte à la HSBC entre 2005 et 2006 ? Le Monde, qui a eu accès aux deux listings, établis par les services du fisc et par les gendarmes, les a contactées pour leur donner la parole.
Parmi elles, des sportifs, comme Christian Karembeu ou Alain Afflelou. Le premier vit en Suisse, et sa situation est donc totalement légale. Idem pour le lunettier : "C'est le compte le plus légal de la terre. J'ai vécu à Genève de 1997 à 2006, j'y ai ouvert un compte dans une banque, rachetée ensuite par HSBC et l'ai fermé en quittant la Suisse."
À côté de ceux qui sont dans leur droit, il y a les autres. Certains ont régularisé leur situation, d'autres non. Bercy s'intéresse ainsi selon Le Monde à un ex-coéquipier de Christian Karembeu en équipe de France, lui aussi champion du monde en 1998 et qui possédait 1,6 million d'euros à la HSBC. Dans le viseur des enquêteurs, "deux monstres sacrés du cinéma français, un humoriste star, une vedette de la chanson, une ancienne Miss France", qui tous ont refusé de répondre au Monde.
Les stars s'expliquent
Mais pas le réalisateur Cédric Klapisch : "Le fisc m'a contacté au moment où je commençais à régulariser ma situation. Mon père habite en Suisse, il m'avait ouvert un compte à Genève. Il n'y avait pas énormément d'argent dessus [247 000 euros, selon les informations du Monde, NDLR]. Je ne savais pas que c'était illégal. j'ai tout régularisé en 2012, et je n'ai plus d'argent là bas." D'autres noms apparaissent, et tous ont une histoire commune, comme Gérard Miller ou l'ex-président du CRIF, Richard Prasquier. Ils sont tous les ayants droit d'un compte, ouvert par un parent, après les persécutions nazies et à l'extermination systématique des juifs d'Europe. Ils furent ainsi nombreux à placer leurs biens, leur argent, leurs fonds, dans les banques de Suisse, pays neutre, en prévision de l'avenir sombre qui s'annonçait, désignant leurs enfants ou petits-enfants comme héritiers, sans forcément les prévenir.
Autre cas symbolique, celui du cuisinier Paul Bocuse, tout juste sorti de l'hôpital après une opération liée à des problèmes de dos. Pour l'un de ses conseillers en patrimoine, il s'agirait d'une étourderie de la star de la gastronomie qui aurait simplement "oublié" son compte suisse et les 2,2 millions d'euros qui y dormaient. Une situation régularisée en 2010.
Dans la liste du Monde également, des noms de personnalités qui selon elles n'ont rien à faire là, à l'image d'Henri Leconte, dont la femme Florentine donne des explications au Monde : "Nous sommes résidents en France depuis 2006, et mon mari a bien eu un compte HSBC, mais en France. Le fisc l'a récemment interrogé. Il n'a rien à cacher, il a été ruiné par le banquier Jacques Heyer." Et ils sont plusieurs à ne pas comprendre pourquoi ils figurent sur ces listes, comme Michel Boujenah, plutôt amusé de l'apprendre, ou encore Marc Lévy, le roi des best-sellers populaires, qui reconnaît avoir possédé un compte HSBC à Londres, à l'époque où il vivait dans la capitale anglaise.
Des listes qui possèdent assurément leur lot de surprises. Et qui devraient encore provoquer quelques remous dans un avenir pas si lointain.
Une enquête sur l'affaire HSBC à retrouver dans l'édition du "Monde" du 28 janvier 2014