Alors qu'ils sont en couple depuis cinquante-six ans, qu'Alain Souchon n'a jamais quitté le devant de la scène musicale française durant toutes ces années, et que leurs enfants, Pierre et Charles, que leur père n'a pas beaucoup vu grandir, sont également devenus célèbres, trouver des photos du chanteur avec sa femme relève presque de l'exploit tant elles sont rares. Une incongruité dans ce monde du showbiz ou d'ordinaire, les tapis rouges, dîners mondains ou autres émissions de télé voient les couples défiler devant les objectifs des photographes. Mais c'est évidemment tout sauf un hasard. Françoise née Villechevrolle a été, est et restera une femme de l'ombre, même si, à n'en pas douter, elle a éclairé l'existence de l'interprète d'Allo Maman Bobo qui fête son 80e anniversaire ce lundi 27 mai.
Leur rencontre se déroule en 1968. Le mois de mai est passé, la révolution n'aura pas lieu. C'est la fin de l'été, Souchon, doux rêveur, musicien à ses heures qui gagne sa vie en jouant les peintres artisans passe du bon temps dans la maison familiale de Cour-Cheverny, dans le Loir-et-Cher. Elle, est étudiante en biologie, parisienne un peu classique, fille de bonne famille. Ils se croisent dans une fête, chez un voisin où Alain a été convié pour animer la soirée. Comment il l'a séduite ? "Je lui ai dit des bêtises, des trucs qui l'ont amusée ! Elle a trouvé que c'était drôle et elle m'a revu le lendemain. C'est ça qu'elles veulent, les filles : qu'on les amuse ! J'ai eu de la chance parce qu'elle est très jolie et très intelligente..." L'humour de l'artiste touche la jeune femme au coeur. Des années plus tard, dans le documentaire Alain Souchon, le chanteur d'à côté, de Laurent Thessier sorti en 2008, Françoise confiera : "Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme ça. Aussi drôle et avec cette profondeur."
Pendant quelques mois, leur relation est irrégulière. Ils se voient au quartier Latin dans Paris. Puis, fin 1969, décident d'emménager ensemble dans une garçonnière du 15ème arrondissement de Paris. Le 20 novembre 1971, ils se marient à la campagne, elle vêtue d'une robe style hippie, lui d'un costume de velours noir. "C'est moi qui ai eu l'idée, pour la garder. Au début, j'étais le plus épris et j'avais peur qu'elle parte avec un autre", confie le chanteur dans la biographie écrite par Jean-Dominique Brierre, La vie c'est du théâtre et des souvenirs, paru en avril 2024. En fin de compte, bien des années après, c'est lui, qui sera sur le point de partir avec une autre...
En attendant, Alain et Bélotte, comme il surnomme affectueusement son épouse, tentent de joindre les deux bouts car le chanteur peine à rencontrer le succès. C'est son épouse qui subvient au besoin du ménage, d'autant que le foyer ne tarde pas à s'agrandir. Pierre Souchon, dont le prénom est un hommage au père d'Alain, décédé dans un accident de voiture alors que le futur artiste n'avait que 14 ans, voit le jour le 11 octobre 1972.
Deux ans plus tard, la réussite musicale tant attendue est enfin au rendez-vous. Fruit d'une collaboration avec un dénommé Laurent Voulzy, l'album J'ai 10 ans qui porte le titre éponyme, lance la carrière du chanteur ainsi qu'une indéfectible, ou presque, amitié...
Au début de ces turbulentes années 70, Souchon le baladin aurait pu être emporté, comme un Johnny Hallyday, par le tourbillon de la gloire. Mais face à ce monde des arts aux contours mouvants, Françoise est un phare, une ancre. "Avec (elle), raconte-t-il dans la biographie précitée, je reviens à quelque chose de structurant (...) Comme elle travaille, il ne faut pas se coucher tard. Autant je suis flou, autant elle a une détermination et une volonté farouches. Elle est beaucoup plus construite que moi. J'aime sa manière d'organiser la vie quotidienne." Une vie que vient encore un peu plus chambouler le deuxième fils du couple, Charles, né en 1978, qui se produit désormais sous le nom de scène Ours.
Mais c'est trois ans plus tard qu'Alain et Françoise vont traverser la plus grande des tempêtes... En 1981, Souchon qui entre-temps a commencé une carrière au cinéma, croise sur un tournage une actrice. Le film de Jean-Paul Rappeneau s'intitule Tout feu, tout flamme. Celle que va allumer Isabelle Adjani dans le coeur de Souchon va faire des ravages : "Elle n'était pas encore la grande vedette qu'elle est devenue. Elle construisait sa carrière, se remémore le chanteur dans la biographie. J'aimais bien son côté tourmenté. Elle était très, très belle et très, très compliquée. (...) Son mal de vivre m'a touché" C'est le coup de foudre. Il est réciproque. "On était très épris l'un de l'autre", résume Souchon.
La passion va durer deux ans, sans que le couple que forment encore le chanteur et son épouse ne rompe. Mais on comprend que la tornade Adjani a bien failli tout emporter. Comment les parents de Pierre et Charles vont-ils s'en sortir ? "Par mauvais temps, élude Souchon, quand le bateau va n'importe où, tellement ça souffle, on affale toutes les voiles et on les attache". Le bateau, à la dérive, parvient néanmoins à retrouver un cap. Mais c'est au prix d'un naufrage, celui du couple Souchon Adjani. "Ça s'est terminé parce que voyant que je restais avec ma femme, elle m'a envoyé chier. J'ai été très malheureux, mais c'était très bien ainsi."
Cette incartade n'est pas la seule qu'en 56 ans d'histoire, l'artiste et sa Bélotte ait connu. Comme beaucoup de chanteurs, Souchon a eu son lot de groupies, des femmes auxquelles il n'a parfois pas pu résister... "Après le concert, confie-t-il dans l'ouvrage de Jean-Dominique Brierre, vous rentrez à l'hôtel. Une voiture vous suit, une fille en descend. Elle se jette sur vous, veut venir dans votre chambre, se donne à vous." Le chanteur n'en dit pas plus, mais on comprend à demi-mot qu'il lui a parfois été impossible de refuser ce qui lui était ainsi donné.
Aléas de la vie d'artiste, que la vraie vie a fini par balayer. Car la réalité est là : Françoise Souchon, contre vents et marée, va rester à jamais, son port d'attache.