
C’était il y a 5 ans déjà. Le 16 avril 2020, Christophe, insaisissable dandy de la chanson française, était l’une des premières personnalités à être emportée par la pandémie de Covid-19 après des jours de coma. L’interprète d’Aline et des Mots bleus s’est éteint le 16 avril 2020 à l’âge de 74 ans, des suites d’un emphysème pulmonaire aggravé par le virus.
Ce jour-là, ce n’est pas qu’une ancienne idole des yéyés que perdait la musique française, mais un amoureux des sons, un génial touche-à-tout, qui avait su s’adapter à son temps, lui qui s’inspirait tout aussi bien des légendes du rock que des nouvelles stars de la musique électronique.
C’est tout sauf un hasard si la nouvelle génération, à l’instar d’un Julien Doré dont il était très proche et avec qui il se livrait à des parties de pétanque endiablées, s’était entichée du chanteur révélé dans les années 60. Un petit bout d'homme d' 1,65 mètres à la créativité foisonnante, qui a vécu les 20 dernières années de sa vie dans un étonnant repaire situé boulevard du Montparnasse.

Il y a de nombreuses années, à l’instar des nombreux confrères qu’il invitait chez lui lorsqu’il donnait des interviews, nous avions eu le privilège rare de pénétrer dans l’intimité de l’artiste. Christophe nous avait alors ouvert les portes de son appartement parisien, une résidence qu’habitait avant lui la comédienne Catherine Jacob. Plus qu’un lieu de vie, un monde en soi, un théâtre d’ombres et de lumière, un capharnaüm sublime et bizarre à l’image de son occupant : raffiné, décalé, résolument hors du temps.
Depuis la rue, les lumières tamisées violettes et orange que l’on pouvait entrevoir au troisième étage de l’immeuble art déco qu’il occupait donnaient déjà une idée de la singularité du lieu. Mais une fois entré, le visiteur ne pouvait qu’être interloqué, submergé par le foisonnement d’objets occupant l’immense espace et saisi par la capiteuse odeur d’encens flottant dans l’air de la pièce. Une pièce à vivre, comme un cabinet de curiosités à la fois salle de concert miniature, studio d’enregistrement, musée personnel et entrepôt de ses innombrables collections. Un piano à queue occupait une partie de l’espace, surmonté de photographies, de partitions, parfois griffonnées à la main. Des synthétiseurs, des tables de mixage, des juke-boxes vintage, des vinyles 45 tours s’amoncelaient aux quatre coins de la pièce. La musique était partout, habitant l’espace.
Aux murs étaient accrochés des tableaux résolument contemporains, des photos en noir et blanc. Ça et là, des objets détournés, comme cette étrange Vierge Marie aux mains lumineuses, ou ce crâne, racontaient une esthétique entre surréalisme et baroque. Un peu partout, des sculptures ornaient les rares espaces laissés vides. La table autour de laquelle il s’asseyait pour recevoir ses convives servait autant de support à la création qu’à la conversation : on y croisait un appareil photo, un vieil iPhone, une carte vitale, une liasse de billets, un passeport, le tout jeté là sans souci d’ordre.

Et puis, il y avait la chambre. Un espace aussi théâtral que personnel. Le lit, recouvert d’une peau de léopard, captait immédiatement le regard. Cette pièce était son repaire ultime, celle qu’il ne regagnait que dans le silence et les premières lueurs du petit jour.
Car Christophe était un véritable oiseau de nuit. Levé en fin de journée, il ne commençait à vivre qu’en début de soirée. Il composait, sortait, pensait et créait à l’heure où le tout Paris dormait. Dans les années 2000, il rejoignait régulièrement le Baron, l’un des clubs les plus branchés de la capitale où il avait ses habitudes. Toujours en quête de nouvelles émotions, de nouvelles rencontres ou de nouveaux sons, lui qui aimait écouter Röyksopp, Gui Boratto, ou encore Laurent Garnier, dont il suivait avec passion les productions.
Lorsqu’il recevait ses confrères, Christophe n’hésitait pas à partager avec eux un petit verre de vin, ou deux, ou trois… 'J’ai arrêté de boire', avait-il paradoxalement lâché, son verre à la main, le jour de notre venue chez lui, laissant le journaliste comme interdit.

À l’annonce de sa mort, les hommages s’étaient succédé. "Christophe tu es parti ce soir... et ce soir ce sont les Paradis perdus... on pense que les gens qu’on aime sont éternels et ils le sont, et tu l’es", avait écrit Jean-Michel Jarre, auteur des textes de deux albums du chanteur. "Un génie, un père, un frère, un ami au paradis perdu", avait salué Pascal Obispo. Eddy Mitchell confiait sa peine d’avoir "perdu un ami, un partenaire, un compagnon de fête". En ce triste mois d’avril, les hommages pleuvaient, qu’ils viennent de Christine and the Queens ou de Nikos Aliagas. "La chanson française perd une part de son âme", avait de son côté déploré Franck Riester, alors ministre de la Culture.
Après sa disparition, tous ses objets sont devenus des fragments de sa légende. En novembre 2020, une grande partie d’entre eux a été mise aux enchères. La vente a rencontré un succès immense, totalisant près de 650 000 euros – soit six fois les estimations initiales. Parmi les lots les plus convoités : un juke-box cédé à 24 000 euros, une guitare signée par Enki Bilal partie à 25 000 euros, ou encore ses légendaires lunettes bleues. Des reliques pour ses fans, des trésors pour les collectionneurs.
Depuis le 7 mai 2020, date à laquelle, Covid oblige, il a été inhumé dans une stricte intimité, en présence seulement de son épouse, Véronique Bevilacqua, et de sa fille Lucie, Christophe repose au cimetière Montparnasse, à quelques centaines de mètres seulement de ce lieu qui fut son incroyable dernière demeure.