"Claude Lelouch, retenez bien ce nom, vous n'en entendrez plus jamais parler", ainsi débutait en 1960 la critique du "Propre de l'homme", le premier film du réalisateur dans la revue Les Cahiers du Cinéma. Il faut croire que même les meilleurs critiques ont le droit de se tromper... Si cette oeuvre de l'apprentissage n'est pas passée à la postérité, force est de constater que son auteur, qui s'est récemment marié pour la quatrième fois, est entré dès cette époque dans l'histoire du cinéma et qu'il ne l'a plus jamais quittée.
Claude Lelouch célèbre aujourd'hui son 87ème anniversaire. Il y a quelques semaines, il recevait à la Mostra de Venise, où il était avec Kad Merad et Julia Vignali, un prix honorifique récompensant l'ensemble de sa carrière. Et le 13 novembre prochain, sortira en salle "Finalement", son 51ème long-métrage. Autant dire que le cinéaste est plus que jamais dans l'actualité. Un homme au sommet d'un art qu'il a bouleversé à jamais en 1966 avec "Un homme et une femme", palme d'or à Cannes, Oscar du meilleur film étranger et Oscar du meilleur scénario original.
Cette histoire raconte celle d'un amour entre deux veufs éplorés dont les destins se croisent pour s'enlacer. Mais elle représente aussi un hommage à une région que l'artiste a chevillée au coeur : la Normandie : le film a d'ailleurs été tourné dans le Calvados, département de naissance d'Eugénie, la maman de Claude Lelouch.
"Ma mère a grandi à Ifs, au sud de Caen, donc elle est vraiment originaire de la région et elle a fait découvrir le Calvados à mon père qui lui était né à Alger", racontait Claude Lelouch en mars 2023 à France Bleu Normandie à l'occasion de l'inauguration d'une promenade à son nom à Villers-sur-Mer. "Je venais le weekend et les vacances, ici sur cette côte fleurie. Mes premiers pas, je les ai faits ici sur cette promenade, ce qui fait que cet endroit représente une partie de ma vie", expliquait le réalisateur qui, dans cette région où il a tourné une quinzaine de ses films et où il a acquis plusieurs propriétés, dit se sentir "bien, apaisé et tranquille" après "une semaine de boulot". "J'aime le vent, la pluie, le soleil ! (...) Ici, j'ai trouvé un paradis et j'en profite. (...) La Normandie est ma pharmacie...", concluait-il.
Si l'on ajoute à cette attirance liée à ses origines, celle que lui procure le cinéma, qui, de Deauville, à Cabourg, a toujours eu des liens forts avec cette région, on comprend que Lelouch ait eu envie d'y construire une partie de sa vie.
Cette envie se traduit d'abord par l'achat d'un manoir à Auberville. "Quand j'étais gamin, racontait-il à Paris Match en 2010, j'escaladais les falaises qui montaient jusqu'au manoir et je me disais : 'Un jour je l'achèterai.'" Vingt-sept ans plus tard, en 1969, il réalise son rêve. "Cette maison est le coeur de la famille, poursuivait-il, celui où tous mes enfants -dont les prénoms ont été choisis en suivant une règle très stricte- ont fait leurs premiers pas et se retrouvent avec leurs propres enfants pour partager des moments forts." Un endroit où viennent aussi les amis comme Ventura, Brel, Belmondo, Huster, Boujenah, ou Borg avec qui le réalisateur "tape des balles."
Mais son envie d'implantation en terre normande va plus loin. En 1975, il acquiert un autre terrain sur la commune de Tourgéville, attenante à Deauville. Il y fait construire une grande bâtisse initialement prévue pour servir de décor au tournage d'un film. L'oeuvre cinématographique doit s'intituler l'Hôtel mais elle ne verra jamais le jour. En revanche, un autre projet va naître... Puisque la demeure est là, Lelouch décide de l'agrandir afin de la transformer en résidence pour les nombreux artistes de passage dans la région. Ce passionné de tennis y installe un court mais aussi une piscine couverte, et une salle de cinéma de 50 places !
Mais entretenir un espace aussi gigantesque qui compte 25 chambres lui coûte une fortune. Le cinéaste décide donc de transformer sa propriété en hôtel. C'est ainsi que durant 30 ans, "L'hostellerie de Tourgéville", ainsi qu'il la baptise, va accueillir tout le petit monde du septième art, notamment les stars invitées au festival du film américain de Deauville. En 1978, John Travolta, venu présenter Grease, y réside, de même que Jean-Paul Belmondo puisque c'est dans le parc de la résidence qu'était parquée la fameuse roulotte du film "Itinéraire d'un enfant gâté".
En 2010, Lelouch décide toutefois de se séparer de ce bien encombrant. Il la vend au groupe hôtelier Floirat qui renomme cet ensemble de bâtisses : Les Manoirs de Tourgéville.
"Claude Lelouch y vient encore de temps en temps prendre le petit-déjeuner", confie son directeur à Purepeople. Mais même quand il n'y est pas, son esprit demeure. En attestent ces spécificités que la direction mentionne. "Nous sommes l'un des rares établissements à posséder une chambre portant le numéro 13", nous explique-t-on en rappelant que les chiffres porte-bonheur de Claude Lelouch sont le 13 et le 7. Toutes les chambres de l'hôtel portent par ailleurs le nom d'une personnalité du cinéma. Lelouch a bien sûr la sienne, et il s'agit de la... 77. La direction souligne enfin que la salle de cinéma existe toujours, faisant des Manoirs de Tourgéville l'une des rares structures d'hébergement à posséder ce type d'équipement.
Il y a deux ans, une information avait circulé indiquant que le Manoir de Claude Lelouch sur la commune était à vendre. Cette propriété située non loin de l'hôtel faisait au départ partie d'un même ensemble que le complexe hôtelier mais Lelouch avait longtemps voulu la conserver. La bâtisse, avec sa forme ronde originale, avait toutefois eu du mal à trouver preneur lorsqu'il l'avait mise sur le marché. Mise à la vente initialement au prix de 7,5 millions d'euros, Lelouch avait dû revoir ses prétentions à la baisse mais ne trouvait toujours pas d'acquéreur. C'est désormais chose faite a appris à Purepeople auprès de la mairie de Tourgéville. Mais même sans ses propriétés, une chose est certaine, l'amour de Lelouch pour la Normandie reste intact.