Le royaume a célébré en 2012 son jubilé de diamant et en 2013 le soixantenaire de son couronnement, mais à 86 ans, la reine Elizabeth II semble toujours - en dépit d'une hospitalisation inédite cette année - d'une vitalité exceptionnelle, à l'image de ses tenues souvent colorées et étudiées dans les moindres détails. Énergie et art de la tenue de scène, deux atouts que la vénérable souveraine britannique possédait déjà au début des années 1940...
De la période de la Seconde Guerre mondiale, l'Histoire a bien retenu l'engagement exemplaire de celle qui serait quelques années après couronnée reine : de son premier discours, en 1940 à l'âge de 14 ans, radiodiffusé sur les ondes de la BBC, à l'attention des enfants évacués en raison des bombardements à sa formation de pilote et de mécanicienne ainsi que sa promotion au grade de commandant junior en 1945... Mais la petite histoire, celle de la vie de famille au château de Windsor durant ces années-là, est moins connue. Et pourtant très spectaculaire, comme permettent de le découvrir une soixantaine d'incroyables photos inédites publiées cette semaine, mettant en scène - littéralement - les toutes jeunes princesses Elizabeth et Margaret, disparue en 2002, dans les représentations théâtrales qu'elles y donnèrent pour l'effort de guerre.
Quand Elizabeth II se prenait pour Aladdin...
Rapidement évacuées après l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne, la princesse Elizabeth et sa soeur la princesse Margaret (de quatre ans sa cadette), après un automne 1939 passé à Balmoral, un Noël à Sandringham et quelques semaines de 1940 au Royal Lodge à Windsor, prennent leurs quartiers au château de Windsor. Là, à chaque Noël, les deux soeurs se produisent dans un spectacle organisé au profit du Queen's Wool Fund, qui finance l'achat de laine pour les uniformes des soldats, et, par extension, s'efforce d'améliorer le quotidien des troupes. Près de 70 ans plus tard, des images des princesses dans leurs pantomimes, destinée à être mises en vente aux enchères le 11 décembre au sein de la maison Dominic Winter (dans le Gloucestershire), sont issues de l'album privé d'un ami de la monarque, Cyril Woods.
À l'époque, Cyril Woods était élève à l'École royale de Windsor et jouait aux côtés des princesses dans les pantomimes. Ami de la reine depuis leurs jeunes années, amené par la suite à travailler pour le bureau de la Couronne jusqu'à sa mort en 2001, il a été l'un des témoins privilégiés de ces scènes de la vie de la famille royale en ces temps troublés.
Au travers des photos, dont le produit de la vente pourrait s'élever à 20 000 euros environ, on découvre les candides princesses Elizabeth et Margaret dans leurs différentes productions artisanales - Cendrillon en 1941, puis La Belle au Bois Dormant (1942), Aladdin (1943), et Old Mother Red Riding Boots (1944) -, accompagnées par le Salon Orchestra des Royal Horse Guards.
En 1941, les deux soeurs, éveillées à la littérature et à la musique par leur gouvernante "Crawfie" (Marion Crawford, se produisaient dans une version "maison" de Cendrillon dans laquelle la princesse Elizabeth, 15 ans, tenait le rôle... du prince Florizel, tandis que la princesse Margaret, 11 ans, jouait le rôle-titre devant un public de happy few conviés dans le salon Waterloo de Windsor. L'année suivante, la future reine s'illustrait à nouveau dans un rôle masculin, campant le prince Salvador pour La Belle au Bois Dormant, et à nouveau en 1943, dans la peau d'Aladdin. En 1944, pour leur dernier spectacle de Noël à Windsor, Elizabeth tenait enfin un rôle féminin (Lady Christina Sherwood) face à Margaret (The Honourable Lucinda Fairfax) avant de retourner à Buckingham en 1945.
L'idée de ces représentations théâtrales pour contribuer à l'effort de guerre était née de la participation des deux jeunes princesses à un concert des élèves de la Royal School. C'est la princesse Margaret qui en avait fait la suggestion au directeur de l'établissement, Hubert Tannar, lequel avait ensuite scénarisé et orchestré les spectacles, jouant même dans le premier (Cendrillon) et le dernier (Old Mother Red Riding Boots). Il est mort peu après la fin de la guerre, en 1948, mais la princesse Margaret a entretenu une correspondance assidue, gage de l'affection qu'elle lui portait, avec sa veuve, Ethel. À son décès, en 1975, cette dernière légua sa correspondance et divers souvenirs à Cyril Woods, élève star de son défunt époux. Et en 1990, la reine Elizabeth II avait alors demandé à son ami et ancien partenaire de jeu de rédiger des mémoires concernant Les Pantomimes Royales, dont un exemplaire est aujourd'hui conservé aux Archives royales.
Une formidable histoire d'amitié
"C'est une collection adorable, a commenté l'administrateur de la vente au sujet des photos mises en vente, parce que cela montre vraiment la sortie de l'enfance des jeunes princesses. Je doute que l'existence de la plupart de ces photos soit connue ni qu'elles aient jamais été publiées. Elles n'ont jamais été montrées en public. On imagine que la reine en connaissant l'existence, mais Cyril ne les a pas divulguées." Un ami loyal par excellence. Après la mort de Mr. Woods, ce sont deux amis de toujours qui ont gardé son secret, dans une vieille mallette conservée au fond d'un placard. S'y trouvaient également des lettres privées de la reine. Dans un courrier de 1950 en réponse aux félicitations de la veuve Tanner pour la naissance de la princesse Anne, Elizabeth écrivait : "Son frère [le prince Charles] semble totalement captivé par elle. Cela fait bizarre de parler pour de vrai "d'enfants" !" Dans un autre, en 1992, la monarque remerciait par écrit Cyril Woods pour l'avoir aidée à évacuer des objets du château de Windsor lors d'un récent incendie.
"La reine prend réellement le temps d'écrire ces lettres très personnelles, incluant souvent bien plus de détails et de mots qu'on pourrait en attendre, a encore estimé l'administrateur de la vente. C'est la marque d'une véritable amitié, et il est impossible de ne pas être ému en les lisant."
G.J.