Guerre des tranchées autour de la piscine : entre Frédérick Bousquet et la Fédération Française de Natation, le torchon brûle. Et la brillante campagne du bien-aimé de Laure Manaudou lors des championnats de France qui se sont refermés dimanche soir à Strasbourg (champion de France sur 50 et 100 m papillon, et sur 50 m nage libre, qualifié pour les Mondiaux de Shanghai sur les deux 50) n'aura pas éclaboussé suffisamment l'incendie de son talent pour l'éteindre. Ni ça, ni l'intervention du pompier commis d'office Romain Barnier, le coach du CNM.
Avant même de plonger dans le bassin de Schiltigheim pour démontrer qu'il est l'un des hommes forts incontestables de l'équipe de France, Frédérick Bousquet avait déjà entamé son bras de fer avec MM. Donzé et Luyce, respectivement directeur technique national et président de la Fédération. Il prophétisait : "C'est sûr, on va aller au clash." Vrai : on y est.
Entraîné à l'année par Brett Hawke sur le campus des Auburn, Alabama, aux Etats-Unis, où il vit la majeure partie du temps avec Laure Manaudou et leur petite Manon, Bousquet n'avait pas digéré que la Fédération française, outre le calendrier imposé à ses nageurs, lui interdise d'être accompagné de son mentor américain lors des compétitions qu'il dispute en tant que membre de l'équipe de France. Très remonté, le nageur licencié auprès du Cercle des Nageurs de Marseille avait eu des propos très fermes, menaçant de boycotter les Mondiaux de Shanghai au mois de juillet (pour lesquels il a deux billets en individuel, sans compter les relais). Profitant de sa présence en France pour en débattre, Christian Donzé, celui-là même qui s'emballe depuis des mois concernant un éventuel retour de Laure Manaudou à la compétition, rencontrait le nageur réfractaire samedi, "durant une quarantaine de minutes". Un entretien infructueux, chacun campant sur ses positions : "notre collectif d'entraîneurs doit être représentatif du modèle français, et fonctionne bien, si bien qu'il n'y a pas de raison de choisir d'autres gens à l'extérieur", assènait Donzé. Luyce enfonçait le clou, renvoyant l'ultimatum à son instigateur : "Tous les sélectionnés pour les Mondiaux seront présents à Paris, pour l'Open, les 25 et 26 juin, sans exception aucune, a affirmé Francis Luyce. Si Monsieur Frédérick Bousquet ne pouvait pas remplir ces conditions, nous accepterions qu'il soit forfait pour Shanghai."
"Je demande plus d'attention"
Dimanche, l'escalade a continué de plus belle. La balle étant dans le camp de Frédérick Bousquet, ce dernier ne s'est pas privé de shooter à son tour, de plus en plus habile dans l'exercice des médias : au micro des journalistes et notamment devant la caméra de L'Equipe, le champion d'Europe et vice-champion du monde du 50 m nage libre, visiblement à cran, s'est insurgé de l'obstination des dirigeants français, et a estimé que céder reviendrait à bafouer ses valeurs. Témoignage flagrant de sa colère et de son émotion, il avait pris congé des journalistes pour monter sur le podium avec le relais du CNM en lâchant, sarcastique : "Il faut que j'y aille, c'est peut-être mon dernier podium en natation."
Le Perpignanais n'en démord pas : "Si Brett n'est pas au bord du bassin à Shanghai, je ne vois pas pourquoi j'y serais." Depuis 2003, il a développé de l'autre côté de l'Atlantique une relation pérenne et fructueuse avec Hawke - lequel n'est pas pour rien non plus dans les progrès et le plaisir de Laure Manaudou dans l'eau, de retour à l'entraînement. Une relation spécifique, exclusive, qui ne saurait être remplacée par un Romain Barnier, son coach au CNM (qui le géra lors des derniers Europe et lors de ces France 2011), intérimaire : "Romain n'est pas sur la même stratégie que celle que j'ai mise en place avec Brett. Et puis Romain a déjà quatre athlètes qualifiés pour les championnats du monde (Camille Lacourt, William Meynard, Fabien Gilot et Grégory Mallet). A mon âge, parce que j'en ressens le besoin, je demande plus d'attention. Certains le voient comme un défaut, moi je le vois comme un état d'esprit."
"Mon sentiment ? Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis..."
Au-delà de la réalité du bassin et du travail effectué, apparemment plus insurmontable encore, il y a une histoire d'hommes arc-boutés sur leurs convictions antagonistes. Et, après une semaine de confrontations stériles, les nerfs sont à vif, les mots se durcissent : "Mon sentiment après mon entrevue avec le DTN ?, réagit Frédérick Bousquet. Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis. Quand je suis face à des personnes qui n'ont pas les mêmes valeurs que moi, la communication ne peut pas passer, commente Bousquet, toujours aussi ferme. Il m'a dit ce qu'il a toujours répété avant ou depuis. D'abord, il se cache derrière le comité directeur qui prend soi-disant la décision, alors que la lettre que j'ai reçue est bien signée par lui. Et il ne retient pas Brett car il a mis en place un système de collèges d'entraîneurs depuis deux ans, qu'il ne veut pas modifier ou perturber. Si j'accepte des idées qui ne sont pas les miennes et que je n'accepte pas, je ne serai pas un homme, et ce n'est pas l'exemple que je veux donner à ma fille par exemple." Un ultime argument inattendu, qui sonne comme le dernier recours de l'athlète : d'ordinaire discret sur sa vie privée, c'est là sa façon, pas ignorante du fonctionnement des médias et de l'effet loupe, de montrer combien il est affecté en tant qu'homme plus encore qu'en tant que machine à gagner.
Et c'est dans ce sens qu'il anticipe son possible martyre : "Avec tout ce qui se passe en ce moment, je ne pense pas que je serais une énergie positive pour l'ensemble de l'équipe de France", analyse-t-il froidement. Une nouvelle prophétie d'échec des négociations dont on souhaite évidemment qu'elle ne se réalise pas... D'autant que la renonciation aux Mondiaux de Shanghai en juillet prochain décevrait tout le clan Manaudou, comme le fait remarquer lequipe.fr : Laure évidemment, mais aussi son jeune frère Florent, dauphin de Fred sur 50 m papillon dimanche et qualifié avec lui pour le rendez-vous en Chine. "Fred est très content. Il m'avait envoyé des messages avant, en me disant qu'il avait envie d'y aller avec moi", réagissait Florent après la course qui lui a permis de décrocher son sésame pour sa première grande épreuve internationale. Sachant que tous trois, Fred, Laure et Florent, auraient déjà en point de mire le rêve de participer ensemble aux Jeux Olympiques de Londres en 2012...
Electron libre mais torpille à tête chercheuse de médailles, Frédérick Bousquet sera-t-il prêt à transiger plutôt que de jeter le bébé avec l'eau du bain ?
G.J.