Son film Grave a fait beaucoup parler de lui en septembre lorsqu'il a été dévoilé à Toronto, en raison des spectateurs qui ont fait des malaises dans la salle. La réalisatrice Julia Ducournau regrette que son oeuvre soit réduite à cela, comme elle l'a confié lors d'une avant-première française : "C'étaient deux malaises vagaux, mais c'est tout. Qu'il y ait des réactions physiques, c'est ce que je recherche. Mais tout d'un coup, mon film est comparé à Cannibal Holocaust... Ça ne rend pas justice au film et ça m'a un peu brisé le coeur." Grave divise ou conquiert, comme à Gérardmer, mais ne laisse jamais indifférent.
Tout a commencé à Cannes, lors de la présentation de ce film coproduit par Julie Gayet dans le cadre la Semaine de la Critique. La réalisatrice Julia Ducournau, trentenaire parisienne formée à la Fémis, attire rapidement l'attention. Fille d'un dermatologue et d'une gynécologue, elle a avoué à Télérama qu'ayant beaucoup entendu parler de leur métier, elle s'est passionnée par la transformation du corps. Ce qui ne surprend pas quand on voit son film.
Grave est un film sur les pulsions cannibales d'une jeune fille végétarienne dans son école vétérinaire, après qu'on la force à manger de la viande lors d'un bizutage. On y suit la métamorphose physique et morale de Justine, incarnée par la bluffante et prometteuse Garance Marillier. Avec audace, un sens de l'esthétisme pointu mais aussi humour, la réalisatrice s'attaque au tabou de l'humanité d'une façon rarement vue avant : "Je voulais voir des cannibales traités à la première personne. Les cannibales sont comme nous, ça pourrait être nous", dit-elle en soulignant qu'il n'y a pas de différences physiques entre un cannibale et une personne qui ne l'est pas, à l'inverse de ce qui oppose un alien et un humain.
Une oeuvre qui mélange les genres. Le ton navigue entre la comédie et le drame, entre le thriller et le gore, mais il s'interroge aussi sur l'amour et le sexe. Ainsi, Julia Ducournau offre son regard sur l'éveil à la sexualité : "J'ai choisi une jeune fille car la sexualité féminine est souvent très cérébralisée. J'avais envie de ramener la sexualité dans un corps qui n'a pas honte et qui vend l'orgasme, c'est tout."
L'amour qu'on voit dans Grave, c'est aussi celui entre deux soeurs, à la façon d'une tragédie grecque ou biblique : "Il y a l'idée d'un amour absolu. On passe de l'amour à la haine, puis à l'amour. Je voulais montrer un amour dévorant fait de leurs similitudes comme de leurs différences."
Son long métrage est nourri de symboles, mais est aussi sous influence. Pas directe si ce n'est Carrie et le bain de sang mythique, mais les innombrables films que Julia Ducournau a vus ont forcément joué sur sa façon de filmer. Son maître à penser, c'est David Cronenberg : "C'est le premier que j'ai découvert seule." Lui parler de cinéma coréen l'enthousiasme, elle qui en est fan et citera The Chaser pour illustrer son goût pour ce type de cinéma. L'horreur rythme sa cinéphilie, mais pas son film : "J'adore les films d'horreur. J'ai envie de flipper. Mais je n'ai pas du tout écrit le film pour faire peur, mais pour déranger, pour pousser les sensations comme dans le body horror. Grave ne rentre pas dans une case, il est protéiforme, c'est un film mutant." Elle amplifiera ce sentiment de mélange des genres en validant également l'idée que son film comporte des codes du western : "Elle va à la conquête d'un monde." Et le format cinémascope devient alors évident.
Grave, en salles le 15 mars 2017