Dimanche 5 mai, arte consacrait sa soirée à Isabelle Adjani en rediffusant le film choc de Jean-Paul Lilienfeld, La Journée de la jupe, qui permit à l'actrice de décrocher un cinquième César. En deuxième partie de soirée, 2 ou 3 choses qu'on ne sait pas d'elle, un documentaire inédit de Frank Dalmat, dans lequel Isabelle Adjani se confie comme rarement. Au coeur de ce témoignage, à fleur de peau, l'infâme rumeur dont a été victime l'actrice à la fin des années 80 et l'aventure déchirante Camille Claudel, réalisé par le père de son fils aîné Barnabé, Bruno Nuytten.
Camille contre la rumeur
Le 18 janvier 1987, Isabelle Adjani est contrainte de se rendre sur le plateau du JT de 20h de TF1, alors présenté par Bruno Masure, pour faire taire une rumeur qui dure depuis trop longtemps. On l'a dit malade du sida et même déjà enterrée. L'actrice est bouleversée, d'autant défaite que le virus fait des ravages et vient d'emporter l'un de ses amis. C'est dans un film qu'elle déversera sa colère : "Camille Claudel a été écrit à cause de cette rumeur du sida", explique Adjani dans le documentaire de Frank Dalmat.
Isabelle Adjani a acheté les droits d'une biographie du sculpteur. Le film raconte la passion dévorante de la jeune femme pour son art et pour son maître, Rodin. Une passion qui l'entraînera jusqu'à la folie. Adjani recherche en vain un réalisateur et se tourne vers son ancien compagnon, Bruno Nuytten, père de son fils Barnabé (né en 1979, musicien), qui est alors l'un des meilleurs chefs opérateur français : "Sa raison d'être, c'était l'ombre. À partir de l'ombre, il faisait exister la lumière. Il m'avait dit que jamais il ne passerait à la mise en scène. [...] Je lui ai dit que j'aimerais me servir du corps de Camille Claudel pour pouvoir incarner mon propre désarroi, mon cri. Il m'a entendue."
Le sacrifice de Bruno
Le producteur Christian Fechner s'engage à produire le film. Bruno Nuytten s'empare du scénario, l'écrit, imagine le film "comme un portrait d'Isabelle" pour la montrer vivante, vivante, vivante alors que les journaux la disait morte. Sa sortie en salle, en 1988, est couronnée de succès. La presse en fait des tonnes comme pour s'excuser de s'être rendue complice de l'infamie. Isabelle Adjani décroche un nouveau César, mais pour Bruno Nuytten, le passage de l'ombre à la lumière se révélera dramatique. "Pour moi, c'est le film marquant pour lequel on me connaît et on me reconnaît, confie Isabelle. Pour lui, c'est le film grâce auquel il a pu exprimer l'amour et l'âme et l'admiration qu'il avait pour moi comme actrice. Mais ça a aussi été un sacrifice qui lui a enlevé sa protection d'ombre et dégoûté de la lumière, l'a éloigné du cinéma. [...] Là, j'ai vraiment vécu, cette fois-ci comme témoin, la destruction [les larmes montent, NDLR] de la sensibilité d'un artiste. Et cet homme qui avait été très fort pour moi, à un moment critique de mon existence, de ma carrière, s'est retrouvé désemparé dans la sienne. Il s'est séparé du cinéma..."
Isabelle s'évapore
Devant la caméra de Frank Dalmat, les larmes d'Isabelle coulent de plus belle : "Je ne suis pas arrivée à avoir pour lui la force qu'il a eue pour moi, de le ramener à son talent, à l'extraordinaire intelligence qu'il a toujours, et qu'il a enfermée..." Alors comme Bruno Nuytten, Isabelle Adjani se retire. C'est la théorie de leur fils Barnabé : "Notre fils m'a récemment dit : 'Finalement, papa a fait quelque chose qui a assassiné sa passion en se mettant à l'écart du cinéma, raconte Adjani. Et toi, sans en avoir l'air, tu as fait quelque chose de cet ordre-là en fabricant des interruptions dans ta carrière qui étaient presque un message d'entraide et de solidarité.'"
Bruno Nuytten réalisera quelques films supplémentaires. Le dernier, Passionnément, est sorti en 2000. Il donne à cette époque une interview au site Objectif Cinéma et revient sur Camille Claudel : "Tout ce que j'ai bâti à partir de là sur l'écriture du film était lié au fait que j'avais envie qu'elle survive comme comédienne à tout cela." Mais chacun a choisi de se retirer : "[La rumeur] peut expliquer ses errances suivantes. En dehors de cela, elle a peut-être mal de voir que je ne m'en sors pas du tout depuis ce temps et que je sois devenu d'une certaine manière Camille Claudel ! Elle préfère alors rester elle-même un peu Camille Claudel pour que je le sois moins..."
"Isabelle Adjani, 2 ou 3 choses qu'on ne sait pas d'elle", un documentaire de Frank Dalmat à découvrir en replay (7 jours seulement) sur le site d'arte.