Jane Birkin en est certaine : Serge Gainsbourg aurait été ému d'entendre les arrangements orchestraux qu'a créés pour elle et pour une vingtaine de ses chansons impérissables à lui le maestro japonais Nobuyuki Nakajima (Nobu), revisitées dans l'album hommage qu'elle présente actuellement en tournée, Birkin Gainsbourg : le symphonique. De Serge, il a évidemment été question dans l'émission Thé ou Café à laquelle la plus frenchy des Anglaises a participé samedi 1er avril 2017. Mais seulement en tant que l'un des hommes de sa vie (qui semble en manquer aujourd'hui), fil rouge de son entretien avec Catherine Ceylac.
Car Jane Birkin n'est ni la femme d'un seul homme, ni son "appendice", une vision réductrice qui a le don de mettre en colère Lou Doillon, la fille qu'elle a eue avec le cinéaste Jacques Doillon : "Elle veut me défendre et elle trouve que je vaux quelque chose toute seule. Et comme elle est féministe, Lou, ça l'agace que je sois toujours l'appendice de Serge, que je n'existe pas pour moi-même", souligne l'artiste.
Retraçant, comme elle aime à le faire avec chacun de ses invités, le parcours de la Britannique arrivée en France à une vingtaine d'années et déjà divorcée, l'intervieweuse la plus célèbre du petit-déjeuner commence logiquement par évoquer son père David Birkin, diffusant des images de son mariage avec la comédienne Judy Campbell. "À part mon père, je n'ai jamais connu quelqu'un d'aussi drôle que Serge", dira plus tard au cours de leur conversation la chanteuse. Officier de la Marine décédé en mars 1991 cinq jours après Gainsbourg, David Birkin n'avait toutefois guère envie de rire en apprenant que Jane allait se marier, à 19 ans seulement, avec le compositeur de musique de film (pour la saga James Bond, notamment) John Barry, de treize ans son aîné, rencontré grâce à la comédie musicale Passion Flower Hotel. Un mariage qui, s'il a vu naître Kate Barry (tragiquement décédée en 2013), n'a de toute manière pas fait long feu. "Pour moi, a-t-elle raconté, c'était incroyable qu'il tombe amoureux de moi. (...) Finalement, j'ai [forcé la main à mon père] et il m'a laissée me marier. Mais pour lui, c'était une catastrophe : d'une, je faisais du théâtre comme maman, et de deux je me suis mariée et je suis partie de la maison à 17 ans. Mais j'étais de retour à 20 !"
De retour ? Façon de parler, puisqu'elle embarque pour la France et y fait rapidement la connaissance de Serge Gainsbourg sur le tournage de Slogan, de Pierre Grimblat. "Qu'est-ce que c'est que ce boudin anglais ?", dit avoir alors pensé le Parisien, dans des images d'archives ressorties par Thé ou Café. "Il était horrible", avait pour sa part jugé la Jane de l'époque.
Et malgré cela, la magie opère : "Chacun était à la sortie d'une blessure, considère-t-elle à présent avec tendresse, et chacun a guéri grâce à l'autre des blessures, et c'est peut-être ça l'affection réelle et durable. Cette affection est plus grande encore que les coups de foudre, cette affection va jusqu'à la mort et n'empêche pas d'autre amour, ni de ma part pour Jacques Doillon, ni de lui pour Bambou et Lulu." Bambou et Lulu qu'au passage elle retrouvait affectueusement dimanche 2 avril à l'occasion du lancement de l'Association Serge Gainsbourg. La blessure de Gainsbourg à laquelle elle fait allusion, c'est sans doute sa fulgurante passion pour Brigitte Bardot (pour qui il avait initialement écrit Je t'aime... Moi non plus, finalement chantée un octave plus haut par Jane), dans la foulée de son court et chaotique mariage avec Françoise-Antoinette Pancrazzi (mère avec lui de Natacha et Paul), dite Béatrice : "Je pense qu'il était encore dans une émotion pour Brigitte, parce que nous étions dans un restaurant à Saint-Tropez, j'étais dos à la porte et je l'ai vu changer de couleur, devenir blême. Je me suis retournée, c'était Brigitte", se remémore-t-elle d'ailleurs.
Après plus d'une dizaine d'années ensemble, ils se séparent en 1980. Elle se met en couple (jusqu'en 1992) avec le réalisateur Jacques Doillon, lui avec le mannequin Bambou, mère de Lulu. Néanmoins, Jane avoue aujourd'hui être "forcée de comprendre quand les gens ont une très grande affection avec leur ex-femme" : "Je suis obligée de trouver ça formidable parce que je l'ai connu", suggère-t-elle avec délicatesse.
Depuis, la vie sentimentale de Jane Birkin a été moins flamboyante, même si on lui connaît toutefois une discrète histoire avec le journaliste et auteur Olivier Rolin (Prix Fémina 1994 pour Port-Soudan). "Un garçon formidable" dont cette âme sensible parle spontanément – et exceptionnellement – lorsque Catherine Ceylac lui demande si elle est aujourd'hui amoureuse et qu'elle révèle un certain désert affectif : "C'est très, très difficile, avoue-t-elle en considérant combien le fait d'avoir été la compagne de Serge Gainsbourg peut effrayer encore aujourd'hui les éventuels prétendants. Mais peut-être aussi que ça vous rend piquant. Ça fait vingt ans que je ne suis plus amoureuse. La compagnie me manque, en fait. J'ai connu un garçon formidable, Olivier Rolin, un grand écrivain. J'étais avec Agnès Varda [qui lui consacra en 1988 le portrait Jane B. par Agnès V., NDLR], on regardait ensemble un film chez moi sur Grace Kelly, et elle a dit 'ce qu'il me manque le plus, c'est les commentaires' (avec Jacques Demy). C'est ça, c'est les commentaires. Mais j'ai des copains, des copines, Michel, Gabriel, mon frère [Andrew], ma soeur [Linda], Charlotte, Lou, avec lesquels je partage, et j'ai mon chien Dolly." Les animaux, une cause et une présence essentielle dans son existence, comme on le constatait dans une séquence diffusée quelques minutes plus tôt, la montrant auprès de deux "patients" – un panda roux et un tapir – du vétérinaire du Jardin des plantes, où elle a ses habitudes : "C'est ce qu'on aimerait tous, avoir quelqu'un qui vienne nous caresser de temps en temps, qui comprenne notre maladie et soit patient avec nous", confiait-elle alors, en écho à la maladie – une leucémie – qu'elle a elle-même dû affronter.
Jane Birkin, à l'invitation de Catherine Ceylac et avec toute la sincérité qu'on lui sait, se demande enfin s'il lui serait encore possible de vivre en couple : "Est-ce qu'on serait encore capable, est-ce qu'on aurait la générosité pour partager les choses intimes à la maison ? Je ne sais pas. Mais oh oui, vous pouvez me le souhaiter", conclut-elle avec un sourire qui est une fenêtre ouverte sur tous les possibles.
Wait and see, Jane...