Avec Houellebecq, l'Histoire se répète. En 2005, année de sa parution, son dernier roman, La Possibilité d'une île, avait phagocyté l'actu littéraire et submergé les quelque 600 romans de la rentrée littéraire.
En 2010, il y a fort à parier qu'il sortira, avec l'aura de soufre et de suppuration affective qu'on attend de la part de son auteur, du lot des nouvelles centaines d'ouvrages à garnir les étalages. D'autant qu'en matière de décalage, Michel Houellebecq arrivera après la bataille : La Carte et le Territoire (Flammarion) paraîtra en effet le 8 septembre.
En cinq ans, les adeptes d'un des plus déstabilisants littérateurs et des plus anti-consensuels érudits des dernières années auront rongé leur frein en découvrant Ennemis publics, le recueil de sa correspondance de 28 lettres amicales avec Bernard-Henri Lévy, sous l'égide d'un quasi-topos médiatique : "Tout, comme on dit, nous sépare – à l'exception d'un point fondamental : nous sommes l'un comme l'autre des individus assez méprisables." Peut-être aussi, pour certains, en allant jeter un coup d'oeil à l'adaptation cinématographique, assez navrante (un échec commercial), que Houellebecq signa avec Benoît Magimel.
Près de 16 ans après la sensation créée par Extension du domaine de la lutte, Le Figaro, un des rares médias à avoir pu découvrir en avant-première La Carte et le Territoire, annonce une déferlante qu'on connaît bien : "La Carte et le Territoire ne décevra pas ceux qui ont été touchés par ses livres précédents. On y retrouve tout ce qui a fait son succès : la mise en pièces de notre société dans un jeu de massacre jubilatoire, les constats désolés sur les rapports humains, les considérations sociologiques avec références érudites à l'appui, les attaques violentes contre les journalistes et les médias, la célébration des grandes surfaces alimentaires, des relais autoroutiers et de certains objets de consommation. Sans oublier les jugements lapidaires sur l'art, l'amour, le désir, la sexualité, la prostitution, la technologie, l'alcool, la vieillesse, la déchéance physique."
Mais le Figaro s'attarde aussi sur une galerie de portraits - à laquelle, fait inédit, il s'inclut d'ailleurs lui-même, s'auto-portraiturant comme un "un solitaire à fortes tendances misanthropiques" - pas anodine : "Michel Houellebecq brocarde aussi, à son habitude, quelques figures en vue de notre époque. Mais, contre toute attente, il fait d'un célèbre journaliste de la télévision un personnage important de son livre. Son ami Frédéric Beigbeder apparaît aussi, et son personnage est des plus émouvants. À l'affiche, mais ils ne font que passer, Claire Chazal, Patrick Le Lay ou encore le critique littéraire Patrick Kéchichian."
Si ceux-là ne sont que de passage, un autre ténor de TF1, a contrario, est un vrai protagoniste, et vraiment inattendu : Jean-Pierre Pernaut, "héros malgré lui", selon la formule du Fig', qui indique que le roman "fait la part belle" au "laudateur d'une certaine France, assoupie et insoucieuse", qui "passe ainsi du statut de people à celui de protagoniste des lettres françaises".
"Un Pernaut jovial", "un Pernaut intime, dans son hôtel particulier de Neuilly au cours d'une Saint-Sylvestre réunissant les vedettes de TF1", dont les ouvrages (Les Magnifiques Métiers de l'artisanat et La France des saveurs) reçoivent même une petite pub, et qui ignorait apparemment tout de son entrée en scène chez Houellebecq : mieux vaut en tout cas que celle-ci se fasse ainsi, sur un versant mélioratif, plutôt que pour livrer JPP en pâture à la verve savamment éreintante de l'auteur...
G.J.