Moins de deux heures après le final épique du duel de handball entre la France et l'Espagne aux Jeux olympiques de Londres, qui tourna à l'avantage des Experts à l'ultime seconde, celui du quart de finale entre les basketteurs français et espagnols aura été bien plus pénible à observer : et cette fois, c'était au tour de la Roja d'exulter, laissant Tony Parker & co., hagards, à leur rêve brisé.
La rencontre avait été électrique, et les gestes d'aggressivité français dans les derniers moments, Ronny Turiaf et Nicolas Batum passant leurs nerfs sur leurs adversaires tandis que la victoire s'éloignait hors de portée, ont même semblé faire écho au climat délétère dans lequel elle s'était ouverte : un esprit de revanche régnait suite aux soupçons de trucage du match précédent de l'Espagne, inexplicablement amorphe dans le dernier quart-temps de son match d'éliminatoires contre le Brésil, au point de se faire battre après avoir dominé toute la rencontre de la tête et des épaules. Une défaite surprise qui permettait à la Roja de n'être que troisième de son groupe et de débarquer dans la moitié de tableau de la France et de la Russie plutôt que de tomber sur la dream team des Etats-Unis en demi-finale... Nicolas Batum s'était même laissé à rajouter de l'huile sur le feu avant la rencontre en revenant sur l'incident et en fustigeant via Twitter : "C'est ça, l'esprit olympique ?" (il présentera ensuite ses excuses).
De revanche, il n'y aura donc pas eu. On savait déjà, sur le papier et au vu des deux oppositions amicales du mois de juillet (l'une perdue largement, l'autre nettement moins), que la France aurait à sortir le grand jeu et souffrirait dans le secteur intérieur, en l'absence de son défenseur number one, Joakim Noah. Des craintes qui se sont matérialisées, même si Tony Parker et ses troupes ont fait oublier face à Marc et Pau Gasol leur déficit de centimètres par une défense vaillante, extrêmement volontaire et appliquée. Un engagement incarné par un Boris Diaw au four et au moulin (31 minutes, 15 points à 6/11, 8 rebonds, 5 passes décisives), capitaine des grands soirs. Mais ce soir-là n'était finalement pas si grand...
On y a pourtant cru, en voyant la France mener de huit points dans le second quart-temps, à force d'obliger l'ogre espagnol à prendre des shoots compliqués et muselant les frères Marc (14 points à 4/8 sur l'ensemble du match) et Pau (10 points seulement, à 3/7). D'ailleurs, il s'en est fallu d'un rien que la vorace Espagne ne passe même pas la barre des 60 points inscrits, avec des stats individuelles assez exceptionnellement médiocres ! Il s'en est fallu d'un rien, aussi, que la France, en tête (53-51) au terme du troisième quart-temps, passe en demi-finale et touche du doigt l'espoir olympique de toute sa belle génération actuelle. Mais au jeu du money time, l'armada ibérique a crucifié (15-6, dont un 12-0 final) des Bleus incroyablement maladroits dans le dernier quart-temps. Pour preuve, alors que le score était encore de 57-54 en faveur de la France à 6'51 du buzzer, il a suffi aux Ibères d'un 2/7 dans le champ et de quelques lancers francs pour prendre les commandes d'un match qu'ils n'auront jamais autant eu en main que lorsque leurs adversaires ont dévissé, sportivement et moralement, lors de ces dernières minutes cruelles et houleuses.
"Quitte à faire une faute, autant que ce soit une bonne faute... Qu'ils tombent vraiment pour quelque chose"
Sportivement, Florent Pietrus a constaté que les opportunités de "shoots ouverts", les Français les avaient eues, et que c'est "ce manque d'adresse qui [les] élimine, pas l'Espagne". "Nous avons donné ce match", confirme Batum. Moralement, Ronny Turiaf, Nicolas Batum et Mickaël Gelabale ont montré par des agressions antisportives, qui ont manqué de peu de dégénérer dans les 30 dernières secondes, toute la frustration tricolore, mais aussi, sans doute, qu'il y a un sérieux passif entre les deux équipes. N'en déplaise à Marc Gasol prônant l'apaisement (plus facile quand on est victorieux...), pour qui les Français, victimes d'un "trop-plein d'émotions", "ne voulaient ni être méchants, ni blesser qui que ce soit", le tampon de Batum et la réaction d'après-match de Yannick Bokolo donnent une autre version : "Il y a beaucoup de coups qui ont été donnés pendant la partie, ils ont fait beaucoup de flopping [simulation], et c'est vrai que quand on voit que c'est terminé... Quitte à faire une faute, autant que ce soit une bonne faute et... C'est frustrant ; il faut qu'ils arrêtent de flopper parce qu'à force, on a envie qu'ils tombent vraiment pour quelque chose", avouait, dépité, le jeune meneur de jeu français natif de Kinshasa. Même constat du côté de Boris Diaw, qui, s'il reconnaît que la France a gâché par manque d'adresse toutes ses occasions dans le dernier quart-temps, note aussi que la propension des Espagnols à se laisser tomber a pesé sur les consciences : "C'est vrai qu'on avait la sensation qu'ils en rajoutaient sur les écrans, se laissaient tomber de manière très ostentatoire... On n'était plus dans le money-time et on a eu la sensation qu'ils exagéraient. Mais c'est surtout la frustration qui s'est exprimée à travers ces attitudes."
Nicolas Batum cartonne Navarro... et présente ses excuses
Symbole de cette frustration et de cette animosité, le carton de Batum sur Navarro (en vidéo dans notre player), tapant rageusement sur le ballon et un peu sur le bonhomme au passage à 57-63, possession espagnole, à 23 secondes du terme de la rencontre, a fait se lever tout le banc espagnol comme un seul homme et a provoqué un début d'échauffourée. D'ailleurs, les deux principaux intéressés auraient pu régler leurs comptes s'ils n'avaient pas été rapidement séparés. "Je voulais lui donner une bonne raison de ne pas simuler cette fois", expliquera l'ailier de Portland après le match. il voulait "taper" (vaincre) l'Espagne, il l'a fait dans le mauvais sens, littéral, du terme. Avant la rencontre, il avait fait monter la pression en estimant (il est loin d'être le seul !) que "les Espagnols ont fait exprès de perdre contre le Brésil" : "C'est ça, l'esprit olympique ?", pestait-il sur Twitter. C'est également via Twitter (@nicolas88batum) que Nicolas Batum, joueur d'ordinaire plutôt classe s'il en est, s'est finalement excusé pour son mauvais geste : "Je veux présenter mes excuses pour mon geste stupide à la fin, j'ai donné une mauvaise image de la France et de moi-même. Bravo à l'équipe d'Espagne", s'est-il repris en anglais. Juste avant, il avait déjà posté ses excuses, en français, en deux tweets : "Desole d avoir montré une image comme ca du basket et de la France. La frustration et la rage m a envahi, je n ai pas d exuse / Ne retenez pas mon geste stupide a la fin mais la performance collective durant le tournoi d une equipe fiere de se battre pour son pays."
Depuis, la tête froide, il a ajouté (en français) : "Merci pour votre soutien, ca nous fais chaud au coeur Merci! et continuez a supporter les filles!" Et (en anglais) : "Quand même fier de mon équipes et de mes partenaires, on a donné le meilleur de nous-mêmes pour notre pays. Maintenant, je souhaite le meilleur à l'équipe de basket féminine #allezlesbleu #Espritbleu"
Valeureuse mais perdant ses moyens dans les moments cruciaux, l'équipe de France s'arrête là, déçue et vaincue, mais pas sans mérite. Reste à savoir si cette bande-là, déjà privée de titre européen par l'Espagne en 2011 et prête pour une revanche à l'Euro 2013, ira ensemble jusqu'à Rio de Janeiro pour les JO 2016. Sur la route de Rio, il y aura encore... l'Espagne, pays hôte du Mondial 2014.
G.J.