Le prix de la liberté artistique de Juliette Binoche se paye dans les compteurs du box-office. Sortis en février et portés par l'aura de la comédienne, Elles de Malgorzata Szumowska et La Vie d'une autre de Sylvie Testud sont passés inaperçus en salles - 100 000 et 332 000 spectateurs respectivement.
Juliette Binoche, 48 ans, n'est pas une actrice comme les autres. Indomptable et inclassable, elle explique à The Independent : "Je suis partie du plateau de Fatale (1992) à deux reprises, pas parce que je me suis disputée avec Louis [Malle, le réalisateur], mais parce que je me suis sentie humiliée en jouant ce personnage. Je pense être très patiente et toujours prête à essayer de nouvelles choses. Si je résiste parfois, c'est parce que je vois un réalisateur qui flippe et veut avoir le contrôle en me disant : 'Tu vas lever ton visage comme ça, tu vas faire ceci...' 'Non ! Ne me dis pas ça, laisse-moi vivre la chose."
Lorsque le nom de David Fincher - réputé pour ses méthodes extrêmes et ses prises innombrables - est évoqué comme son pire cauchemar, elle avoue : "Haneke est aussi très précis et j'ai tourné deux films avec lui... même si la deuxième fois [Caché (2005) avec Daniel Auteuil], il a tellement été dans le contrôle que je n'ai pas aimé du tout."
La carrière est à l'image de la femme. Oscarisée pour Le Patient anglais (1996) et lancée sur la scène internationale, Juliette Binoche n'a cessé de se détourner des sentiers battus pour franchir des portes nouvelles : "J'ai choisi de rester en Europe et beaucoup travailler avec des réalisateurs étrangers. J'aurais pu emménager aux Etats-Unis mais je ne l'ai pas fait car j'aime mon indépendance, je n'aime pas être dans un système." Elle précise que ses rôles dans le cinéma américain sont comme "un clin d'oeil, genre 'Hé ! Vous vous souvenez de moi ?", mais son refus de participer à Jurassic Park (1993) est entré dans la légende. Relativement rare sur son propre territoire, elle avoue d'ailleurs : "Je pense que les réalisateurs français ne savent pas toujours quoi faire de moi."
Très directe, elle n'hésite pas à évoquer la pornographie. Alors que le drame Elles traite de la prostitution estudiantine, la comédienne explique : "Beaucoup d'hommes pensent que le porno n'est pas si important et si sérieux, alors que les femmes ont tendance à le prendre personnellement. C'est un peu, 'Comment peut-il me faire l'amour après avoir regardé ça ?' Je pense que la première fois que j'ai réalisé [qu'un partenaire regardait des films pornographiques]... j'étais vraiment choquée parce que je ne comprenais pas. Pour moi, faire l'amour est lié aux sentiments et aux sensations avec les sentiments, alors quand il n'y a pas d'émotion, ça devient animal parce qu'on perd la connexion avec le coeur. Il y a un côté triste et pathétique, là-dedans."
Attendue dans Cosmopolis de David Cronenberg avec Robert Pattinson et la comédie dramatique Un singe sur l'épaule avec Edgar Ramirez, Juliette Binoche est repartie vers un nouveau challenge : incarner Camille Claudel, célèbre sculptrice immortalisée par Isabelle Adjani dans le film de Bruno Nuytten en 1987. "J'ai l'impression que c'est le rôle le plus difficile et douloureux que je pourrai jamais jouer", avouait-elle avant d'entamer le tournage de La Créatrice. Un nouveau pari risqué pour l'une des comédiennes les plus étonnantes qui soient.
Cosmopolis sortira en salles le 23 mai et devrait être en compétition au Festival de Cannes. Réponse lors de la conférence de presse ce jeudi 19.