"J'suis ton ombre/j'suis ton brouillard/j'suis ton symptôme/et ton cauchemar", chante, spectrale et obsédante, La Grande Sophie au coeur de La Place du fantôme, paru le 13 février. Cet incipit étrange harcelé de percussions, qui est celui du morceau un brin maléfique Dans ton royaume, est assez emblématique de l'atmosphère pénétrante qui règne dans un album en tous points remarquables, où l'inquiétude souvent haletante et les secrets exorcisés, loin de pétrifier les chansons sensibles et lucides de l'artiste, leur confèrent une formidable énergie vitale et dictent leur vibration.
D'énergie vitale et de vibration, c'est un peu de cela qu'il est question dans le clip visuellement impactant réalisé par Valérie Pirson (de l'agence-collectif Partizan, auteure notamment des clips La Femme Chocolat et Elle Panique d'Olivia Ruiz) pour Ne m'oublie pas, premier single extrait de La Place du fantôme. A partir de cette injonction abandonnique d'une Grande Sophie plus femme que jamais au milieu du chant des sirènes, de percussions frissonnantes et de choeurs pressants, la vidéaste a conçu un clip qui mime l'écartèlement intime de son héroïne. Animal et minéral à la fois, cérébral et physique pour montrer comment toute absence, tout manque, est chevillé à la chair, le clip étire, désarticule, démembre et rassemble La Grande Sophie, qui surgit çà et là, tout ou partie, de l'obscurité comme dans une toile du Caravage. Charnelle et fantomatique.
Avec ce sixième album d'une grande force de résonance intérieure, La Grande Sophie (42 ans) explore "d'autres identités sonores" ("équilibre à mi-chemin entre éléments acoustiques et synthés analogiques, sur une rythmique pop et des mélodies toujours aussi claires et inspirées") pour souligner les angoisses à l'oeuvre dans chacune des chansons. D'où des arrangements extrêmement élaborés, riches en percussions, régulièrement scandés par un piano sépulcral, et nourris d'effets sonores matérialisant fêlures, hantises, impatiences : grincements, grattements/scratchs, voix multiples, cris, respirations, onomatopées, sifflotements, claps...
Le thème pivot de la présence-absence est décliné sous différents climats, de l'épais fond sonore électro-grinçant (presque Mylène Farmeresque) de Bye Bye Etc en ouverture à la pureté céleste de l'ensemble piano-ukulele-nappes aiguës de l'épilogue Suzanne, en passant par la langueur tranquille de Tu fais ton âge, l'apesanteur surréaliste de Sucrer les fraises, La Radio qui occupe un silence désertique, l'impatience de la délivrance dans Ecris-moi ou encore Quand on parle de toi, énumération acrobatique d'un fantasme...
Rendez-voussur le site officiel de La Grande Sophie pour ses dates de concert et son étonnant dictionnaire d'images sonores.
G.J.