"Les femmes libres dérangent", clame l'actrice marocaine Loubna Abidar, héroïne de Much Loved. Agressée à Casablanca, elle a pris une décision sans appel : quitter son pays. Dans une tribune publiée sur le site du Monde, elle explique en détails son choix douloureux.
La comédienne avait reçu des menaces pour avoir joué dans ce film traitant de la prostitution au Maroc. Il avait été interdit par le gouvernement. Mais lorsqu'elle a été agressée le 5 novembre - agression n'a pas pu être confirmée par des sources officielles au Maroc, précise l'AFP -, une nouvelle étape a été franchie. Elle a publié sur les réseaux sociaux une vidéo où elle apparaissait le visage tuméfié.
"Au fond, on m'insulte parce que je suis une femme libre. Et il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent", écrit Loubna Abidar dans cette tribune intitulée "Pourquoi je quitte le Maroc". Arrivée dimanche à Paris pour se faire soigner, la comédienne explique avoir été la cible d'une "campagne de détestation" et d'un "mouvement de haine" sur les réseaux sociaux et dans la population marocaine après la présentation du film au dernier Festival de Cannes. "Pendant des semaines, je ne suis pas sortie de chez moi, ou alors uniquement pour des courses rapides, cachée sous une burqa (quel paradoxe, me sentir protégée grâce à une burqa)", précise-t-elle.
La tribune permet aussi d'en savoir plus sur son agression "par trois jeunes hommes" : "J'étais dans la rue, ils étaient dans leur voiture, ils m'ont vue et reconnue, ils étaient saouls, ils m'ont fait monter dans leur véhicule, ils ont roulé pendant de très longues minutes et pendant ce temps ils m'ont frappée sur le corps et au visage tout en m'insultant. (...) Much Loved dérangeait, parce qu'il parlait de la prostitution, officiellement interdite au Maroc, parce qu'il donnait la parole à ces femmes qui ne l'ont jamais", estime Loubna Abidar.
Remarquée au Festival de Cannes, récompensée à Angoulême et à Namur, l'actrice a de quoi être fière de sa performance. Le film, sorti le 16 septembre dernier, suit le parcours de Noha, Randa, Soukaina et Hlima, quatre prostituées de Marrakech. Sur les écrans français depuis septembre, il devait sortir en salles au Maroc à l'automne, mais avait été interdit préventivement, en mai, par le gouvernement marocain, qui avait évoqué "un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine". S'exiler en France, c'est ce qu'une autre actrice avait dû faire : l'Iranienne Golshifteh Farahani, qui a décrit son départ comme "une petite mort".