États-Unis. En pleine saison des récompenses, Matthew McConaughey et Jared Leto raflent tout et ne laissent aucune miette. À vrai dire, cette outrageuse domination des deux acteurs de Dallas Buyers Club se comprend au sortir de la salle obscure, après avoir visionné le film de Jean-Marc Vallée (Victoria les jeunes années d'une reine, Café de Flore). Époustouflants. Ils sont époustouflants. Quelques jours après leur triomphe aux Golden Globes, les deux comédiens sont représentés par celui qui a tout capté, celui sans qui rien n'aurait pu arriver, le Québécois Jean-Marc Vallée qui, après avoir dirigé Vanessa Paradis dans le fantasque Café de Flore, a dû composer avec ces deux performers. Jovial et amical à la fois, il nous raconte son Dallas Buyers Club...
''Le mec veut changer sa vie, changer les perceptions''
Tout commence par l'appel de sa productrice, Robbie Brenner : "Elle me l'a proposé juste après que Matthew McConaughey l'a appelé en lui disant, 'j'ai lu le scénario de Dallas Buyers Club, c'est pour moi, je veux ce film'. Et puis elle a eu l'instinct de nous réunir", raconte le cinéaste. Et il poursuit : "Je me suis dit après lecture du scénario, 'putain c'est trop beau, on doit le faire, pourquoi tu ne me l'a pas dit plus tôt ?'. Elle m'a dit 'rencontre Matthew', je lui ai répondu, 'non pas lui, c'est trop, il correspond pas au personnage, il est trop beau, trop musclé'. Je suis parti sur ce préjugé, et quand je l'ai rencontré, il était toujours ce beau gosse musclé, mais son discours m'a convaincu. Ensuite, il y a une partie de lâcher-prise, un testament de foi entre deux personnes. Je lui ai fait confiance, en n'espérant ne pas avoir tord".
Matthew McConaughey. Qui l'eut cru, l'homme à poster, playboy du milieu des années 2010, prêt à briser son image. "Ce que je sens, c'est que le mec veut changer sa vie, changer les perceptions, montrer qu'il était plus qu'un beau mec avec des muscles", se souvient Jean-Marc Vallée. McConaughey avait déjà saisi le personnage comme "un antihéros, l'histoire d'un mec qui change sans le vouloir, devient le porte-parole d'une communauté qu'il a bafouée toute sa vie, là encore sans le vouloir".
''Ils me donnaient du more is more''
Après les préjugés, place aux actes. Jean-Marc Vallée sera aux premières loges de la transformation de son acteur, que l'on voit, nous spectateurs, fondre comme neige au soleil. "J'ai vu ça progressivement, il m'envoyait des photos, on skypait, donc je n'ai pas eu le choc. Le choc, je l'ai eu en voyant le personnage arriver, en faisant les tests costumes et maquillage. Il a fait ça comme un grand garçon." Très admiratif, le réalisateur canadien avoue n'avoir "eu aucune inquiétude, jamais il n'a montré un signe de faiblesse, d'inconfort, de perte de contrôle. Le mec était en mission pour jouer ce personnage. Il l'a fait d'une manière magistrale".
Pourtant ce n'était pas gagné si l'on en croit les souvenirs du réalisateur, notamment lors de "la première semaine, où lui et Jared m'ont sorti de ma zone de confort". "J''avais l'impression de faire un suicide professionnel, c'était des clowns, ils sont trop gros, mais eux, ils jouaient leurs trucs, lâche-t-il. Je me suis éloigné, je les filmais de loin, et ça fonctionne. Je suis de l'école less is more [la retenue en quelque sorte], et eux me donnaient du more is more [repousser les limites]".
''25 jours, 10 heures par jour devant des performances''
"Après une semaine, j'ai bien vu que waouh, avoue alors Jean-Marc Vallée. Vous avez vu le film en deux heures, moi c'était 25 jours, 10 heures par jour devant des performances. J'ai pas coupé des performances avec un montage, j'ai capté les performances, et j'ai pris majoritairement des plans éloignés. On n'essaye pas de t'en mettre plein la gueule et de te faire pleurer." Il a raison, c'est toute la force de ce Dallas Buyers Club, émouvant long métrage sur un addict au sexe et au rodéo, atteint du sida dans un pays qui ne souhaite pas avancer sur ce fléau qui, au milieu des années 1980, frappe alors le monde entier. Il lui restait 30 jours à vivre après avoir appris la nouvelle. Il survivra six ans avec une auto-médicamentation et un pied-de-nez constant à la FDA. Son histoire et son combat soulignaient alors le retard en matière de recherche des Américains.
Pour Jean-Marc Vallée, Dallas Buyers Club "est un film de performances". "Les Américains ont ça, et ils peuvent se le permettre avec l'indépendance financière. S'investir comme cela, ça fait les différences", souligne-t-il. Pourtant, le scénario passant de main en main pendant près de vingt ans, avait fini sur la blacklist. Une fois remis au goût du jour, il a fallu financer ce film indépendant, lutter contre le lobbying de la FDA, car oui, Dallas Buyers Club a dérangé. Pour Jean-Marc Vallée, peu concerné par les sombres batailles de coulisses, la vérité était sur le plateau : "Les deux se challengeaient sans verser dans le duel, avec un grand respect entre eux. Ils ont contaminé l'équipe, et les gens voulaient se surpasser pour ce film", raconte-t-il.
''Ce mec est taré, il essayait de me séduire''
Aux côtés d'un Matthew McConaughey au sommet, se trouve Jared Leto. Six ans d'absence dans le cinéma pour livrer le rôle de sa carrière. Le musicien et leader de 30 Seconds to Mars est lui aussi un habitué des transformations physiques (Requiem for a Dream, Mr Nobody et surtout Chapter 27) avant d'incarner ici un transsexuel atteint du VIH. "Je dis toujours que je n'ai pas choisi Jared, c'est Jared qui m'a choisi avec le projet", se targue Jean-Marc Vallée. Il se souvient d'un type qui a crevé l'écran : "Dès le premier Skype avec Jared, déguisé, il était déjà dans le personnage, je chattais avec Rayon. Il avait une perruque, une robe, il faisait jouer du T-Rex, il se maquillait, il essayait de me séduire. Je me suis dit qu'il allait faire ça pendant trois minutes, mais il a fait ça pendant une demi-heure." Hallucinant. Il poursuit : "J'ai raccroché, appelé Matthew pour lui dire qu'on avait trouvé Rayon. 'Jared Leto', 'vraiment' qu'il me répond, 'ah oui, je te jure, le mec est taré'. Premier jour de tournage, il débarque en Rayon, arrive et quitte l'hôtel en Rayon, déboule en plateau en Rayon, et quitte le film en Rayon", nous raconte le cinéaste, les yeux brillants. Il avouera ensuite avoir finalement "rencontré Jared au Festival de Toronto pour la première fois".
Christopher Ramoné