Certains lieux communs ne le sont pas tant que cela, "communs" : ainsi en est-il de la fameuse maison bleue que dépeignait en chanson Maxime Le Forestier, dans San Francisco, hit du début des années 1970 extrait de son premier album, Mon Frère, paru en 1972. Ce titre teinté de nostalgie et d'utopie, qui constitue l'un des "homes" universels de la chanson française, dont chacun, toutes générations confondues, se surprend un jour à voir la mélodie refleurir à ses lèvres, fut l'un des premiers grands succès du tout jeune homme, fraîchement revenu de son service militaire et entraîné vers la musique dans le sillage de sa grande soeur, Catherine.
La journaliste Sophie Delassein contait, dans les colonnes du Nouvel Observateur du 12 août 2010, la genèse particulière de San Francisco, écrite en hommage à un lieu (mais aussi une atmosphère, une génération, un idéal) aussi emblématique, énigmatique, et folklorique.
"Début juillet 1971, au Festival de Spa, la vedette s'appelle Catherine Le Forestier. Venue présenter son deuxième album, " Au pays de ton corps ", dont la modernité et la sensualité n'échappent à personne, la soeur aînée de Maxime, qui l'accompagne à la guitare, triomphe et remporte le concours haut la main (...) Mais c'est en coulisses que tout se joue. Catherine, 25 ans, et Maxime, 22 ans, rencontrent Luc Alexandre, un type charismatique en diable. " C'était un garçon atypique, un jeune homo flamboyant, chevelu et barbu, une sorte d'aventurier, se souvient Maxime Le Forestier. Il nous a dit que San Francisco était faite pour nous." Luc leur glisse l'adresse d'une maison bleue (...) " J'ai vite compris que j'arrivais dans un monde dont je ne pouvais soupçonner l'existence ", raconte Maxime Le Forestier. Il toque à la porte de la maison bleue sise au coeur de Castro, l'ancien quartier mexicain. " Are you homosexual ?" leur demande-t-on d'emblée. A peine surpris par la question, ils répondent non et prononcent le nom magique : Luc Alexandre. Les portes s'ouvrent sur un temple hippie surpeuplé " de cheveux longs, de grands lits et de musique ". Comme dans la chanson.
Ils vont passer un peu plus d'un mois à l'ombre du Golden Gate, adoptant le way of life de ces jeunes Américains. (...) Fuyant toute autorité, loin des préjugés dont ils se sentent victimes, des hippies, des homosexuels et des insoumis qui refusent de partir au Vietnam vivent ensemble en bonne intelligence, en toute liberté surtout. (...)
Sa carrière en solo débutera vraiment un an et demi après ce voyage mémorable sur la côte Ouest. " San Francisco ", écrite pour remercier " Lizzard, Luc, Psylvia et autres ", comptera parmi ses tout premiers succès."
Intégralité de l'article à retrouver en cliquant ici.
Quand on a plongé dans une telle histoire, et une telle mythologie, difficile de s'en défaire. Et Sophie Delassein, quelques jours après cette édifiante publication, constate que la maison bleue... ne l'est plus ! Si, fidèle à la chanson ("Elle sera dernière à rester debout/Si San Francisco s'effondre"), elle se dresse toujours dans le quartier de Castro, ses murs sont désormais verts ! "Vert d'eau subtil", même, grince la journaliste en imaginant la présentation laudative de l'agent immobilier au nouvel acquéreur. Elle a ainsi écrit, toujours pour le Nouvel Observateur, une lettre virtuellement adressée au nouveau propriétaire des murs, pour l'implorer à grands cris de restituer à la demeure sa couleur "historique" :
"Peu de temps après la parution de cet article sur l'histoire de la chanson, un journaliste du San Francisco Chronicle m'a contactée pour en savoir plus la maison bleue de la chanson. Il s'appelle Alexis Venifleis - il va venir sonner chez vous dans les jours à venir. Ne sachant pas précisément l'adresse de la maison, je l'ai mis en contact avec Maxime Le Forestier en personne. Ce dernier lui a indiqué le quartier de Castro. Et puis, en fouillant dans ses archives personnelles, il a fini par remettre la main sur un vieux carnet contenant l'adresse de la maison bleue (la vôtre, désormais). Et c'est ainsi qu'Alexis Venifleix est allé la photographier pour s'apercevoir qu'elle était devenue... verte ! Sacrilège !
Comprenez-vous mieux pourquoi je vous prie, vous implore, vous supplie aujourd'hui (à genoux bien sûr) de rendre à la façade son aspect originel ? Non, toujours pas ? Alors écoutez la chanson et vous comprendrez."
Découvrez l'intégralité de cette supplique outragée, ainsi que des photos du lieu, sur le site du Nouvel Observateur, en cliquant ici.
G.J.