Le défunt "temple du rock" parisien a perdu son bâtisseur, son gardien et son icône : Henri Leproux, fondateur du Golf-Drouot, est mort jeudi 12 juin 2014 dans la matinée, à l'âge de 86 ans.
Père de Robin Leproux, vice-président du directoire de la chaîne M6 et ex-président (entre 2009 et 2011) du PSG, auquel Purepeople.com adresse ses sincères condoléances ainsi qu'à ses proches, il avait incarné avec une passion connue de tous les années folles du rock, dont le club qu'il fonda à l'angle de la rue Drouot et du boulevard de Montmartre (9e arrondissement), au-dessus du Café d'Angleterre, fut un repaire phare. 33 ans après la fermeture de ce qui fut alors la première boîte rock à Paris, le maître des lieux a à son tour tiré sa révérence...
Avant que d'être l'histoire d'une époque et de contribuer à écrire celle de la musique, le Golf-Drouot est l'histoire d'un homme. D'un "enfant de la guerre" né dans le 10e arrondissement, comme le souligne la biographie présentée par le site officiel de l'établissement disparu, qui connut les bombardements, l'exode, l'occupation, la faim... A 18 ans, en 1946, inspiré par les héros du moment Marcel Cerdan et Laurent Dauthuille (un autre genre que Mistinguett ou Maurice Chevalier, que son père chargeait dans son taxi), il se lance à corps perdu dans la boxe "mais l'armée vient brusquement balayer les espoirs de ce futur champion et il se retrouve opérateur radio à Blois". Un changement de cap décisif, puisqu'il fait alors la rencontre de Doudou, qui est barman au Lido et lui fait découvrir les paillettes du showbiz de l'époque. Quelque temps après, il se fait embaucher par le prestigieux cabaret et collectionne les autographes de stars tout en préparant des cocktails qui lui vaudront quelques distinctions.
Rockollection
En 1955, il installe ses talents au Golf-Drouot, un curieux salon de thé à l'étage du Café d'Angleterre qui a la particularité de contenir un minigolf intérieur. D'abord barman, puis chanteur, Henri Leproux révolutionne le lieu en y installant un juke-box qui ne tarde pas à attirer la jeunesse de l'époque, gourmande de musique made in USA. La vocation du Golf-Drouot tel qu'il a laissé son empreinte dans la légende est née, et à la fin de la décennie, les "idoles des jeunes" en devenir (notamment les Vieilles Canailles Johnny Hallyday, Eddy Mitchell - alors coursier au Crédit Lyonnais du coin) s'y produisent en concert. Le Taulier du rock français a d'ailleurs fait part de son émotion en apprenant la disparition de l'ancien pygmalion de toute une génération : "C'est avec tristesse que j'apprends le décès de mon ami Henri Leproux fondateur du golf Drouot", a écrit le rockeur sur Twitter. Le Golf-Drouot revêt, en 1961, ses galons de discothèque rock et devient un tremplin phénoménal (la soirée du vendredi était notamment dédiée à la découverte de jeunes talents) pour une foule de rockeurs en herbe : en 20 ans de bons et loyaux services, outre bien des musiciens restés dans l'anonymat (ce sont ainsi pas moins de 6 000 groupes amateurs qui s'y sont produits), nombre de (futures) vedettes des sixties et des seventies, françaises et étrangères, s'y sont fait remarquer à leurs débuts (comme Gene Vincent ou Dick Rivers et les Chats sauvages).
Le concours du vendredi soir, ouvert à tous ("Si vous visitez le site du Golf, c'est peut-être parce qu'il y a fort longtemps, vous avez joué dans un groupe qui est passé sur sa scène", note d'ailleurs l'administrateur du site www.golfdrouot.fr, Jacques Mercier, toujours en quête de photos d'archives), attire les projecteurs sur le Golf-Drouot et en fait the place to be en pleine effervescence rock, si bien que les Who, David Bowie ou encore Free viennent y jouer entre le milieu et la fin des années 1960. Les Rolling Stones (qui donnaient vendredi un concert unique dans l'Hexagone au Stade de France) y ont même fait un passage, le temps d'une séance photo. Côté français, des artistes commes Michel Jonasz ou Jean-Jacques Goldman, mais aussi le groupe Telephone y ont joué dans leurs jeunes années. Totalement emblématique de son époque, le lieu a réussi l'émulsion parfaite entre sa vocation de discothèque, où les gens venaient danser au son des morceaux rock et rythm'n blues du moment ("de Gene Vincent à Otis Redding en passant par Pink Floyd et les Beatles", disques passés par le premier DJ rock parisien, Larsen - Dominique Guillochon), et son ambition de révéler des artistes. Malgré sa contribution et la marque qu'il a laissée dans la légende, le Golf-Drouot a disparu en 1981, lorsque l'immeuble dont il faisait partie subit une rénovation.
Rock'n'roll forever !
Le 24 février 2014, Bertrand Delanoë, alors encore maire de Paris, inaugurait une plaque commémorative sur le fronton du N°2 de la rue Drouot pour entretenir la mémoire du lieu, à l'initiative de Patrick Darnay, ex-manager des Charlots, en présence notamment de Michel Jonasz, Alain Chamfort, Erick Bamy et Vigon, mais aussi de Robin Leproux et de nombreux protagonistes de cette époque fameuse (Danyel Gérard, Danny Boy et les Pénitents, Alain Chennevière de Pow Wow, Jacky Chalard).
Il convient d'honorer aussi celle d'Henri Leproux, son grand artisan, "parrain spirituel de tous les groupes qui sont passés sur sa scène mythique". Son expérience, il l'avait racontée dans un ouvrage qui fait référence, Golf Drouot le Temple du Rock (éd. Robert Laffont, 1982). "Trente ans au service d'une jeunesse toujours en mouvement et de cette musique qui berça si fort" un certain âge d'or, résume joliment Jacques Mercier. Ça laisse des traces.
Un témoignage vintage et plein de vécu, hommage vibrant à Henri Leproux, est en écoute dans notre diaporama : en 1981, l'année de la fermeture de la boîte, Philippe Timsit chantait avec nostalgie Henri, porte des Lilas. "J'espère que tu te souviendras de moi/Henri de la porte des Lilas/J'étais le bassiste des Toreros/J't'accompagnais au Golf-Drouot (...) On était presque des vedettes/On jouait plus fort que les Chaussettes (...) C'était sûrement les plus belles années de ma vie/J'y pense souvent aujourd'hui/Souviens-toi de moi/T'aurais pt'être du boulot pour moi/Ça fait 20 ans qu't'es une idole/En France, t'es l'roi du rock'n'roll/Souviens-toi de moi/J'étais sur scène à côté d'toi/Avec nos guitares électriques/On a fait changer la musique."
G.J.