"Les premières places ne sont pas intéressantes, celles qui m'intéressent, ce sont les places à part", disait Jean Cocteau, des paroles que Bernadette Lafont reprenaient avec enthousiasme. L'actrice aura fait honneur à cette citation de l'artiste, menant une vie et une carrière sous le signe de la liberté, de l'audace et de la sincérité. Un superbe parcours de femme et de comédienne qui a pris fin. Bernadette Lafont est morte ce 25 juillet au matin à l'âge de 74 ans. Une vague d'émotion s'empare de la France, la Fiancée du pirate s'en est allée voguer vers d'autres mers, mais son talent reste à jamais gravé dans tous les esprits.
Lundi 23 juillet, le quotidien Midi Libre annonçait son hospitalisation après un malaise, alors qu'elle était au centre hélio marin de la ville du Grau-du-Roi. Elle sera prise en charge par les sapeurs-pompiers puis transportée au CHU de Nîmes. D'après nos informations, Bernadette Lafont devait rejoindre début juillet le tournage de la suite du Petit Nicolas, Les vacances du Petit Nicolas de Laurent Tirard, dans le rôle de la grand-mère, quand elle a été victime d'un AVC important le 1er juillet alors qu'elle se trouvait dans sa maison à côté de Nîmes. Transportée immédiatement à l'hôpital de Nîmes, la comédienne de 74 ans avait récupéré toutes ses fonctions intellectuelles, mais elle restait handicapée sur le côté gauche du corps et s'acharnait à effectuer une rééducation journalière et intense au centre hélio-marin du Grau-du-Roi. La production du film entamée à Noirmoutiers fin juin préférait attendre l'amélioration de la santé de l'actrice, n'envisageant pas de la remplacer, mais sa vaillance n'aura pas suffi à la sauver. Elle est décédée au CHU de Nîmes, a appris l'AFP auprès du service de communication de l'hôpital.
Une jeune femme libre
Enfant des Cévennes, Bernadette Lafont est née en 1938 de parents protestants, à la fois sévères et libéraux et qui voulaient éperdumment un garçon : "Ma mère m'a appelée Bernard toute sa vie. Jusqu'en 1991, quand elle est morte." (France Info - Tout et son contraire) Elle se décrivait comme une "personne ordinaire qui a vécu une enfance heureuse, s'est le plus souvent bien amusée, et une têtue qui a l'habitude de réaliser ses rêves" (Femina). Ordinaire, peut-être, mais dôtée d'un fort tempérament qui lui permettra de vivre une existence loin d'être monotone.
Son père, pharmacien, admirait les gens connus et reconnus. Bernadette Lafont en deviendra une, de quoi lui faire plaisir. A l'aube de l'âge adulte, elle rencontre à Nîmes, sur le lieu même où ses parents se sont connus, Gérard Blain, étoile du cinéma français. Il répétait la pièce Jules César, prévue pour les Arènes. Elle est jeune, belle et libre. L'acteur ne résiste pas à son charme et peu après, le mariage s'organise. Bernadette avec une star de Paris, de quoi éveiller les jalousies dans la ville, mais qu'importe.
Son histoire d'amour avec Gérard Blain ne résistera néanmoins pas avec ses envies professionnelles. Bernadette Lafont rêve de cinéma, et son mari voulait tout, sauf une femme actrice, traumatisé par l'échec de sa précédente union. Quand la comédienne en herbe tourne Le Beau Serge de feu Claude Chabrol, c'est la fin de sa romance. A 19 ans, elle est déjà divorcée, mais une autre union, s'annonce, celle avec la Nouvelle Vague.
La Fiancée de la Nouvelle Vague
Bernadette Lafont rencontre des figures du milieu de la Nouvelle Vague et en deviendra l'égérie. Pour L'Express, elle s'est souvenu de ses débuts : "A cette époque, si on désirait faire du cinéma, il valait mieux être blonde, avoir un petit nez et une taille de guêpe... Moi, j'étais brune, avec un nez pas vraiment minuscule, un type méditerranéen. Des producteurs voulaient m'éclaircir les cheveux, me refaire un peu le visage... J'ai toujours refusé. D'autant que les Chabrol, Truffaut et compagnie s'arrangeaient bien de mon naturel. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague n'ayant jamais fait de cadeau aux metteurs en scène installés, ces derniers me l'ont fait payer."
Parmi les films marquants de ces premières années d'actrice, on citera alors Les Mistons de Truffaut et Le Beau Serge de Chabrol en 1957, mais aussi Les Bonnes Femmes du même Chabrol. Lors de l'émission Tout le monde en parle en 2002, elle confie même qu'elle aurait pu jouer dans A bout de souffle, Jean Seberg n'étant pas sûre d'être libre pour tourner l'oeuvre de Godard avec Belmondo, ajoutant qu'on lui avait même proposé de donner la réplique, non pas à Bébel, mais à Aznavour. Le film se fera finalement en 1960 sans eux, mais d'autres réussites les attendront ailleurs.
La Fiancée du pirate est une oeuvre majeure de sa carrière datant de 1969 : "Si les critiques furent formidables, le succès n'a pas été au rendez-vous. Le film était interdit aux moins de 16 ans et intriguait. J'y jouais une pute mais pour la bonne cause." (L'Express) Jean Eustache la voudra pour La Maman et la putain en 1973, encore un film culte. Quelques années plus tard, Bernadette Lafont s'épanouit enfin au théâtre. La scène lui procure une sensation inédite : "Je veux bien ne plus faire de cinéma si je peux toujours faire du théâtre", se souvient-t-elle avoir dit à l'époque (Tout le monde en parle). "Le cinéma, c'est merveilleux. Mais, quand on a dépassé le narcissisme, les gâteries, les compliments et qu'on aime jouer, c'est assez chiant, finalement", dit-elle dans L'Express.
Des personnages truculents, francs et audacieux
Cependant, sa relation avec le cinéma ne sera que plus belle et en 1986, elle décroche le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L'Effrontée du regretté Claude Miller. Elle retrouvera Charlotte Gainsbourg dans Prête-moi ta main (2006), nouveau succès populaire. La fille du beau Serge et la Fiancée du pirate font décidément des merveilles ensemble. Un César, Bernadette Lafont en obtiendra un autre, d'honneur, en 2003. La comédienne sera également faite Officier de la Légion d'honneur le 14 juillet 2009.
L'avant et après Pauline
Comédienne talentueuse et respectée, refusant d'être une star, Bernadette Lafont a construit une belle famille, une vie de bonheur néanmoins bouleversée par un terrible drame. Après Gérard Blain, elle rencontre le sculpteur hongrois Diourka Medveczky à 20 ans. Ils auront trois enfants, Pauline, Elisabeth et David, qui donneront à leurs parents cinq petits-enfants. Pauline Lafont deviendra comédienne comme sa mère, et jouera dans L'Été en pente douce de Gérard Krawczyk en 1987. Mais un an plus tard, elle meurt dans un accident de forêt. Il y a désormais un avant et un après Pauline. "On me demande souvent comment j'ai tenu moralement. Mais j'avais mon autre fille et mon fils, dont la petite Anna est née un mois plus tard. La vie a repris le dessus. Ce qui m'a beaucoup aidée aussi, ce sont les ateliers cinéma à Nîmes, que j'avais commencés un mois avant la catastrophe. J'y ai rencontré des jeunes qui m'ont apporté beaucoup de chaleur." (L'Express)
Bernadette Lafont estime vivre une existence simple et saine, adepte de l'effort physique comme la danse - elle se serait bien vu chorégraphe - ou les pilates, certainement le secret de cette silhouette et cette mine qu'elle arborait jusqu'à 74 ans. C'est aussi et surtout une femme libre : "Si vous voulez la liberté, prenez-la, n'attendez pas qu'on vous la donne. C'est ce que j'ai fait. Il y a tant de pièges dans la société." (Femina) Une grande dame aux cheveux d'un blanc lumineux, au timbre de voix fascinant et au regard malicieux, qui a tant aimé jouer la comédie.