Ils étaient partis pour faire rire, mais ça se termine en polémique. À quelques jours d'intervalle, deux comédies, Gangsterdam et À bras ouverts, sont sorties sur les écrans. Leurs réalisateurs pensaient conquérir les spectateurs à coups de situations cocasses et de répliques hilarantes. Sauf qu'on est bien loin du résultat escompté : la critique ou le public ne perçoivent pas les choses de la même façon. Purepeople revient sur huit films français qui n'ont pas fait rigoler tout le monde.
Christian Clavier le clame lors de ces interviews : À bras ouverts est un film "évidemment bienveillant". Ary Abittan a comparé l'humour de Philippe de Chauveron (réalisateur de Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu) sur les Roms à celui de Rabbi Jacob à propos des juifs. L'histoire de cet intellectuel de gauche qui accueille chez lui un homme dans le besoin et sa famille, afin de prouver à son détracteur qu'il peut joindre le geste à la parole, a hérissé les poils de la critique : Le Parisien dézingue le film en le décrivant comme "ultracaricatural" et "raciste". Les spectateurs se sont exprimés sur Allociné : ils lui ont accordé une moyenne de 2,1 sur 5, certains parlant de "ratage" à propos des blagues qui tombent à plat et d'autre évoquant un "souffle de liberté" qui permet de rire de tout.
Stars des ados français, Kev Adams choisit l'humour potache de Gangsterdam sous la direction de Romain Lévy (Radiostars) pour son nouveau film. Périple à Amsterdam d'un trio de jeunes, la comédie ne passe pas pour ceux qui l'accusent de véhiculer homophobie, culture du viol, racisme et sexisme. 20 Minutes n'y va pas avec le dos de la cuillère en qualifiant en couverture le film d'"adominable". Kev Adams s'en moque en retweetant les paroles d'un soutien : "#Gangsterdam fait polémique, car c'est @kevadamsss... vous étiez où pour les films de Sacha Baron Cohen ?" L'image tous publics de l'acteur est-elle trop en décalage avec le propos du film ?
Critiquée parce qu'elle voulait se démarquer du terme "féminisme" avec Sous les jupes des filles – ce qu'elle regrette aujourd'hui –, Audrey Dana n'a pas été épargnée avec sa nouvelle réalisation, Si j'étais un homme. Le point de départ de sa comédie est l'histoire d'une femme qui se réveille un beau matin avec un sexe masculin. Mais les situations qui s'ensuivent ne plaisent pas à celles et ceux qui les considèrent comme transphobes. Pour l'actrice et réalisatrice, le message est pourtant le suivant : "Mon film est une invitation à réconcilier le féminin et le masculin, et je montre que la frontière est trouble" (Studio CinéLive).
À l'origine, le nouvel épisode d'une saga adorée des Français : les aventures de Jacquouille la Fripouille (Christian Clavier) et Godefroy de Montmirail (Jean Reno). En définitive, près de 2 millions de spectateurs (deux-tiers de moins par rapport aux Couloirs du temps) et une polémique sur l'absence du nom de l'acteur franco-congolais Pascal Nzonzi sur l'affiche, alors qu'il apparaît sur la photo et que tous les noms des autres acteurs sont mentionnés. Avoir joué dans Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? (12 millions d'entrées) ne suffit-il pas à attirer les spectateurs ? Car si le distributeur se défend en précisant que l'acteur ne l'avait pas demandé dans son contrat, il aurait pu miser sur cet acteur de talent pour attirer le public.
Auréolé de cinq César (film, premier film, acteur, adaptation et montage) et crédité de plus de 2 millions d'entrées, le long métrage a marqué l'année 2013 du septième art en France. Pourtant, si Guillaume Gallienne a reçu une pluie d'éloges, son oeuvre autobiographique centrée notamment sur sa relation avec sa mère. Une démarche jugée "réactionnaire" et "normative" selon les détracteurs du film. "Si moi je suis homophobe, tous aux abris ! (...) Ne mélangeons pas tout et séparons un peu," a affirmé le comédien sur Europe 1, estimant que le cinéma ne devait pas être toujours considéré comme "un objet militant".
Avec près de 20 millions d'entrées, Intouchables fait partie sans conteste des comédies que les Français ont plébiscitées, soutenues par la presse. Ce n'est pas en France que le film avec Omar Sy et François Cluzet a provoqué la controverse mais aux États-Unis. Jay Weissberg, critique pour Variety, ne s'attarde pas sur la mise en scène du film, mais sur son propos, l'accusant de flirter avec un racisme digne de "l'Oncle Tom" qui a par ailleurs totalement "disparu des écrans américains". Cette attaque virulente met en lumière les différences de mentalités et de perception de part et d'autre de l'Atlantique, puisque le film du duo Nakache/Toledano, bien qu'il n'ait pas forcément fait l'unanimité, n'avait pas souffert de telles attaques en France.
Lorsque la revue Les Inrocks estime qu'on pourrait lui reprocher de flatter l'esprit communautaire avec ses films, "tant ils exaltent les particularismes locaux, les cultures locales présentées comme des remparts à la mondialisation", Dany Boon réplique : "C'est tout l'inverse. Dans Rien à déclarer, je démonte l'idéologie raciste en riant de l'absurdité d'un conflit entre deux personnes seulement séparées par une frontière. J'ai grandi en pensant que la seule richesse, la vraie richesse, c'est l'autre. Je me suis sorti de ma vie de pauvre, de crève-la-dalle parisien, grâce aux autres, à l'ouverture, à l'échange. Alors qu'on ne me dise pas que je flatte le repli identitaire."
Christian Clavier le déclarait dans C à vous pour défendre À bras ouverts : "Anémone disait [dans le film] : 'Pierre, je me demande si je devrais pas finalement faire des moufles plutôt que des gants à trois doigts pour les petits lépreux de Jakarta.' Personne n'a pensé que c'était contre l'Indonésie et Jakarta et contre les lépreux !" Sauf qu'il y a tout de même quelque chose qui n'était pas passé à l'époque de la sortie du film en 1982 : le film avait été boycotté par la RATP et la Ville de Paris qui avaient refusé de louer des panneaux publicitaires pour l'affiche en raison de son titre provocant et politiquement incorrect.
La comédie française doit-elle être morale ? Politiquement correcte ? Les mentalités changent selon les époques et les pays. Avec les réseaux sociaux, les films n'échappent plus aux critiques, qu'elles viennent de la presse ou du public. Les attaques vers ces longs métrages sont d'autant plus importantes qu'elles visent un public large et sont donc très médiatisées. L'équation du cinéma comique populaire a des limites : rire de tout ne signifie pas forcément rire avec tous. Surtout avec la variable très subjective qu'est l'humour, des blagues trash mais pleines d'esprit passeront toujours mieux qu'une plaisanterie lourde faite sans talent. Mais tout est une question de point de vue.
Samya Yakoubaly