Agnès Jaoui : 'Avec Jean-Pierre Bacri, on s'aime toujours, mais autrement'

De retour au théâtre après vingt ans d'absence, pour la pièce Les uns sur les autres, Agnès Jaoui a accordé une interview au magazine Causette. Elle ne sera pas la seule à parler d'elle, puisque l'article mêlera les dires de ses proches, son père Hubert Jaoui, son frère Laurent, mais aussi son complice Jean-Pierre Bacri. De quoi faire un portrait passionnant de cette femme, artiste jusqu'au bout des ongles, toujours curieuse de la vie et des gens.

A travers son oeuvre, on peut lire sans mal la conscience féministe de cette enfant de psychologue clinicienne, aujourd'hui décédé, et d'un consultant en management et créativité. Elle a sûrement pris naissance lorsqu'elle a fait partie des soixante premières filles à intégrer le lycée Henri-IV, après des années de domination masculine : "Sur ces 60, nous étions trois ou quatre à être déjà formées, dont moi, alors vous imaginez ! Cela m'a sans doute donné l'illusion que j'avais un pouvoir très fort. Et conditionné mon rapport aux hommes." Un de ses souvenirs a effectivement de quoi marquer une vie : un de ses professeurs la coince dans les toilettes : "Il ne m'a rien fait de grave, mais ça vous donne l'ambiance."

C'est à travers le théâtre qu'elle commencera pas exprimer tout ce qu'elle ressent, elle qui avait un "grand besoin d'exister, d'être sur le devant de la scène". Après hypokhâgne et le Cour Florent où elle aura comme professeur Francis Huster, elle intègre l'école du théâtre des Amandiers et suit les cours de Patrice Chéreau, metteur en scène adulé et décédé le 7 octobre dernier : "Disons que je me suis sentie détestée. Il n'aimait pas les femmes, vraiment. Et moi en particulier. J'étais tout ce qu'il détestait. A l'époque, il était tout-puissant dans le milieu du théâtre. Or je n'aime pas les gourous, je hais le dogmatisme."

Jabac forever

Viendra plus tard la rencontre de sa vie, celle avec Jean-Pierre Bacri. Elle se rend à New York avec la moitié de sa promo des Amandiers pour un spectacle musical. Jean-Michel Ribes la repère et la choisit pour jouer dans L'Anniversaire de Harold Pinter avec Bacri : "Soudain, j'ai vu quelqu'un parler avec une liberté que je n'avais jamais entendue ailleurs. Et qui ne cherchait pas à plaire." Lui dira : "Je la trouvais très intelligente. J'avais de l'estime pour sa façon de penser. Ça m'a fait du bien. Très vite on s'est mis ensemble, on a vécu ensemble." Elle a 22 ans et lui 35, ils sont fusionnels, au point qu'Agnès prend des distances avec sa famille : Son frère Laurent témoigne : "Pendant quelques années, elle a même eu besoin de se couper de nous pour se construire avec Jean-Pierre. Ça n'a pas été évident pour moi, même si je pense que ça a été bénéfique pour elle."

Les Jabac, comme les surnomme affectueusement le réalisateur Alain Resnais, se mettent à écrire ensemble, trois ans après leur rencontre. Cela lui permet d'avoir les rôles qu'on ne lui propose pas, et de ne pas avoir à passer par le canapé non plus, précisera-t-elle. De leur collaboration à quatre mains, on citera Smoking/No Smoking, Un air de famille, On connaît la chanson ou encore Le Goût des autres. Ils ne sont plus en couple désormais, mais cela n'a rien changé à leur travail et leur tendresse : "On est un peu plus lents parce qu'on prend le temps de discuter, de parler de nous, mais sinon, ça n'a rien changé. On n'a jamais voulu se perdre. On s'aime toujours, mais autrement." Une relation basée sur la sincérité, et c'est pour cela qu'elle n'aura pas de mal à dire en interview à Télérama : "Jean-Pierre Bacri savait que je souffrais de rester dans son ombre."

Actrice, scénariste et réalisatrice, Agnès Jaoui a également une passion pour le chant, - Charles Aznavour l'a invitée dans son émission Hier Encore - nourrie, entre autres, par son amour pour l'Amérique du sud. Ses deux enfants de 10 et 13 ans, adoptés, viennent d'ailleurs du Brésil : "Même si je me battais contre l'idée qu'on ne pouvait pas être une femme accomplie sans devenir mère, j'avais un immense besoin de transmettre. [...] Aujourd'hui, le fait de pouvoir choisir quand on veut être maman renforce la culpabilité, car on se croit obligée d'être irréprochable." Selon son père, ça n'a pas été facile au départ, surtout à l'école, car ses enfant était déjà grands quand elle les a adoptés, mais il précise qu'elle a trouvé un bon équilibre entre tendresse et rigueur.

"Les Uns sur les autres", de Léonore Confino, mis en scène par Catherine Schaub, au théâtre de la Madeleine à Paris jusqu'à mi-mai.

Retrouvez l'intégralité de l'article dans le magazine Causette du mois de février 2014