Pas une rentrée littéraire sans Amélie Nothomb. Et autour de la romancière, le roman de sa propre vie (sa naissance au Japon, le retour en Belgique) et son folklore (le goût immodéré pour le champagne, les fruits pourris, les chapeaux et la mémoire incroyable de chacun de ses admirateurs). Alors que Frappe-toi le coeur, son 25e livre, est paru chez Albin-Michel le 23 août, elle vient d'accorder un magnifique entretien au Monde dans lequel elle évoque, pour la première fois avec autant de candeur, ce qui, après une "enfance heureuse", a "saccagé son adolescence".
Dans cette longue interview menée par Annick Cojean pour Le Monde, Amélie Nothomb raconte sa toute petite enfance : l'insomnie dès la naissance, les histoires qu'elle se racontait la nuit... Une enfance qu'elle décrit comme heureuse avant d'être bouleversée par un "événement-clé" raconté brièvement dans son livre Biographie de la faim, paru en 2004, et plus en détails aujourd'hui : "Une baignade en mer, au Bangladesh, où vivait alors ma famille, et au cours de laquelle j'ai été agressée sexuellement par quatre hommes. Je ne veux pas m'appesantir sur cet événement qu'il m'a fallu dépasser. Disons simplement que l'année de mes 12 ans fut charnière. D'un coup, j'ai découvert la puberté, la violence, la haine de soi, la haine tout court, la fatigue et le froid. Autant de sensations qui m'étaient alors parfaitement inconnues."
Si Amélie Nothomb raconte avec pudeur, elle se fait plus directe sur les conséquences d'un tel traumatisme. "J'ai soudain eu le sentiment de vivre avec un ennemi intérieur. Une sorte de monstre générateur d'angoisse. Ma vie a totalement basculé." À l'âge de 13 ans et demi, la future star des librairies est frappée par l'anorexie... Une maladie dont il est si difficile de se remettre : "Car on ne sort pas comme ça de l'anorexie pure et dure. Quand on veut recommencer à manger, c'est l'horreur, on découvre qu'on ne sait plus manger, que le corps ne supporte plus rien, qu'on est malade tout le temps, avec l'impression d'être possédée par le démon."
On est malade tout le temps, avec l'impression d'être possédée par le démon
L'autre conséquence des troubles alimentaires, c'est l'isolement. "On est mis au ban de la société parce qu'on n'est plus capable de manger avec les autres. Ça ne va pas, et tout le monde voit que ça ne va pas. Cauchemardesque. Alors, même si elle a compté dans ma vie et certainement contribué à faire l'écrivain que je suis, il est hors de question que je valorise l'anorexie. Trop de gens l'idéalisent en pensant qu'il y a quelque intérêt à y trouver. C'est faux ! Elle fait des ravages. Je serais quelqu'un de bien mieux si je n'avais pas été anorexique."
À 51 ans, Amélie Nothomb se dit bien mieux dans ses baskets qu'à l'âge de 18 ans. Mais elle n'oubliera jamais : "Ce qui m'est arrivé à 12 ans était une dégradation. Et la dégradation demeure à tout jamais."
Amélie Nothomb dans Le Monde, 27 août 2017.