Certains ne se seraient pas privés de répondre aux abonnés absents en de telles circonstances délicates, mais pas Bernard Tapie. L'homme d'affaires de 77 ans, ancien président de l'Olympique de Marseille et actuel patron de La Provence, était bien là lundi 12 octobre 2020 pour l'ouverture de son procès en appel pour "escroquerie". Et ce malgré le double cancer de l'estomac et de l'oesophage contre lequel il se bat depuis trois ans et qui l'a terriblement affaibli. Les effets secondaires de son traitement expérimental sont lourds et très violents. Accompagné de ses deux avocats, Hervé Temime (grand avocat parisien qui vient de publier Secret défense aux éditions Gallimard) et Julia Minkowski (la femme de Benjamin Griveaux), Bernard Tapie a fait... du Bernard Tapie.
Dans la soirée du 12 octobre, l'AFP a fait le bilan de cette première journée de procès à la cour d'appel de Paris. Et c'est ainsi que l'on apprend que Bernard Tapie a bien failli quitter la salle. La présidente de la cour d'appel, Sophie Clément, venait de rappeler que le vieux litige de l'ancien ministre avec le Crédit lyonnais lié à la revente d'Adidas il y a près de trente ans avait déjà été tranché définitivement par la justice civile. "Alors je pars", a lancé d'une voix presque inaudible Bernard Tapie, costume sombre et masque chirurgical sur le visage, son avocat Hervé Temime réclamant qu'il ait "la possibilité d'être entendu" sur "l'affaire Adidas", le combat de sa vie. L'Obs a, de son côté, la même passe d'armes dans son reporting de la première journée. "Je me barre, tempête-t-il de sa voix cassée. La comédie, ça fait quinze ans que ça dure. Je me barre, je n'ai rien à foutre ici !", écrit le média, en citant Bernard Tapie.
L'audience s'est ensuite déplacée sur le terrain de la procédure. La défense de M. Tapie et celle de ses cinq coprévenus, dont l'actuel patron d'Orange Stéphane Richard, ont contesté la régularité de l'appel formé par le parquet, après la relaxe générale prononcée par le tribunal correctionnel le 9 juillet 2019.
Les juges n'avaient pas retenu le "détournement de fonds publics" ou la "complicité" de ce délit et les avaient relaxés du chef d'escroquerie ou de complicité d'escroquerie, estimant que l'arbitrage n'était pas entaché d'une quelconque "fraude".
La validité du document d'appel, qui ne mentionnait que l'infraction d'"escroquerie", a donné lieu à une vive passe d'armes entre la défense et le ministère public. La cour d'appel tranchera à la reprise de l'audience, ce mardi, avant d'examiner d'autres points de procédure soulevés par la défense.
Bernard Tapie et ses cinq coprévenus sont rejugés douze ans après l'arbitrage - un mode de règlement privé - qui avait octroyé à l'homme d'affaires 45 millions au seul titre de son préjudice moral, pour la "faute" du Crédit lyonnais lors de la revente d'Adidas. La sentence arbitrale a été définitivement annulée pour "fraude" par la justice civile, qui a également condamné de manière définitive l'ancien patron de l'Olympique de Marseille à restituer les millions perçus.
Le montant exact de la dette de Bernard Tapie, après l'annulation au civil de l'arbitrage, est toujours l'objet d'âpres joutes procédurales. La cour d'appel de Paris a estimé en février qu'elle s'élevait à 438 millions d'euros, mais l'homme d'affaires s'est pourvu en cassation.
Dernier rebondissement: les sociétés de M. Tapie, en faillite personnelle depuis décembre 1994, ont été placées le 30 avril en liquidation judiciaire, ouvrant la voie à la vente de ses biens afin qu'il puisse rembourser. Une décision dont il a fait appel.