Le juge José Castro, qui instruit l'affaire Noos largement responsable de la grave crise de confiance ébranlant comme jamais la monarchie espagnole, n'aura accordé qu'un bref répit à la famille royale : au lendemain même de la Pâque militaire, première grande célébration de l'année présidée par le souverain, le magistrat majorquin annonçait au petit matin du mardi 6 janvier 2014 la (nouvelle) mise en examen de l'infante Cristina d'Espagne, fille cadette du roi Juan Carlos Ier, pour fraude fiscale et blanchiment de capitaux...
Le timing choisi par le juge d'instruction et le tribunal de Palma de Majorque pour décider cette mise en examen qui était en suspens depuis le printemps 2013, comme une épée de Damoclès au-dessus de la Maison royale, n'a franchement rien d'anodin, puisque, attendue depuis la mi-décembre, elle intervient 48 heures après que le roi Juan Carlos Ier d'Espagne a célébré son 76e anniversaire, et au lendemain même de la Pâque militaire où il effectuait sa première sortie publique depuis son énième opération de la hanche fin novembre. Ironie du sort, José Castro, en décidant de passer à l'action dès l'aube de l'année 2014, honore le voeu de la Maison royale formulé quelques heures plutôt par son porte-parole, Rafael Spottorno, lequel avait appelé la justice à "clore rapidement ce dossier [Noos] qui est un calvaire pour la Maison royale". Après avoir échappé à une précédente mise en examen en avril 2013, l'infante Cristina devra à son tour comparaître, le 8 mars 2014, au tribunal de Palma de Majorque, où son époux Iñaki Urdangarin, inculpé en 2011, a déjà été entendu à plusieurs reprises.
Ce dernier, ex-gloire du handball ibérique reconvertie dans les affaires, est soupçonné d'avoir détourné, avec son associé Diego Torres, 6,1 millions d'euros d'argent public par diverses manoeuvres (factures gonflées, prestations fictives, sociétés écrans) à l'époque où il présidait, de 2004 à 2006, une société à but non lucratif baptisée Instituto Noos en charge de l'organisation de congrès liés au tourisme et au sport dans les îles Baléares. Fin 2013, quelques semaines après que l'infante Cristina et ses quatre enfants eurent déménagé pour Genève, en Suisse (tandis qu'Iñaki restait à Barcelone), où l'infante poursuit ses activités à la tête de la division internationale de la Fondation La Caixa, les seize biens immobiliers d'Iñaki Urdangarin étaient saisis par la justice pour couvrir sa caution (dont leur villa cossue de Pedralbes, acquise en 2004, mise en vente l'an dernier pour 9,4 millions d'euros et saisie pour moitié).
L'infante Cristina, première membre de la famille royale dans la machine judiciaire du dossier Noos : l'heure des révélations ?
Dans cette affaire, le rôle éventuel de l'infante Cristina a fini par devenir un enjeu majeur des investigations, et une partie de la presse et de l'opinion espagnoles réclamaient de longue date la mise en examen de la fille du roi. Ignorait-elle tout des activités de son mari à la tête de l'Instituto Noos, comme Iñaki Urdangarin a voulu le prétendre ? Était-elle au courant, ce qui apparaît comme une évidence attendu qu'elle était jusqu'en 2006 membre du comité de direction de Noos ? A-t-elle intercédé pour favoriser les transactions nouées par son époux, comme l'a affirmé et relaté devant le juge Diego Torres, ex-associé d'Iñaki, qui, dans son grand déballage, a dramatiquement impliqué la Maison royale ? En avril 2013, José Castro avait d'ailleurs décidé une première fois de mettre l'infante Cristina d'Espagne en examen, pour trafic d'influence précisément. Battu en brèche par le parquet (le procureur anticorruption Pedro Horrach, qui avait rendu quelques mois plus tôt un rapport accablant pour le gendre du roi, avait posé un recours, estimant qu'il n'y avait pas assez d'élément et obtenu gain de cause), il avait, suite à l'abandon de la procédure, ouvert une information judiciaire à l'encontre de la princesse concernant des délits fiscaux ou blanchiment d'argent éventuels.
Depuis, l'enquête menée par le juge s'est minutieusement concentrée sur les biens immobiliers, comptes en banque, déclarations d'impôts et même les moindres dépenses (frais de bouche, voyages...) de Cristina, ainsi qu'aux comptes de la société Aizoon S.L. détenue pour moitié par les deux époux et qui aurait servi de société écran par laquelle auraient transité les sommes détournées, précise l'AFP. Et en dépit des nouvelles réserves émise en novembre par le parquet, qui demandait au juge de ne pas mettre en examen la fille du roi, le principal intéressé, tenace, a forgé sa décision après avoir reçu le 5 décembre les derniers rapports demandés à l'administration fiscale et avoir demandé aux parties concernées "de présenter dans les cinq jours ouvrables les remarques qu'elles estiment pertinentes sur une hypothétique citation à comparaître de Doña Cristina Federica de Borbon y Grecia en qualité d'inculpée pour délits fiscaux supposés et/ou blanchiment de capitaux", selon l'arrêt publié lundi.
La mise en examen de l'infante Cristina d'Espagne, qui fait suite à la demande d'inculpation récemment déposée par le syndicat de fonctionnaires d'extrême-droite Manos Limpias, fameux pourfendeur de corrompus, plonge un peu plus la monarchie dans l'enfer et la défiance. Selon le sondage annuel commandé et publié en ce début d'année par le quotidien El Mundo, le taux d'adhésion à la monarchie a chuté sous la barre symbolique des 50% (49,9%, - 5 points en un an), tandis que 62% des Espagnols souhaitent l'abdication du roi Juan Carlos Ier. Si le scandale devait s'étendre encore jusqu'à toucher au souverain et révéler qu'il avait peu ou prou connaissance des agissements de son gendre et sa fille (c'est lui qui aurait intimé à Iñaki Urdangarin son départ de l'Instituto Noos pour Telefonica et son "exil" à Washington...), l'issue semblerait inéluctable.