Si l'heure est, en France, au début de la trêve hivernale, la trêve estivale est terminée pour le gendre du roi Juan Carlos Ier d'Espagne : Iñaki Urdangarin, époux de l'infante Cristina, a vu lundi 4 novembre 2013 l'épée de Damoclès fixée en janvier par la justice des Baléares tomber. Faute d'avoir fourni une caution civile établie le 30 janvier dernier à 6,1 millions d'euros, réclamée dans le cadre de sa mise en examen pour détournement de fonds, ses biens sont saisis. L'infante et sa famille plongent un peu plus en enfer, deux ans précisément après l'éclatement du scandale, toxique pour la monarchie...
Une longue descente aux enfers, le purgatoire avant le procès...
Rappel des faits. En novembre 2011, l'affaire se répand comme une traînée de poudre dans les quotidiens nationaux, alors que le pays subit de plein fouet la crise et s'insurge de la corruption de la classe politique : le charismatique Iñaki Urdangarin, gendre du souverain et père de quatre enfants, héros du handball ibérique en tant qu'ex-capitaine glorieux du club de Barcelone (champion d'Europe) et de la sélection nationale (championne d'Europe et médaillée olympique), tremperait dans une sale affaire de détournement de fonds. Il aurait, avec son associé Diego Torres, détourné des millions d'euros (de fonds publics essentiellement) vers des sociétés écrans alors qu'il était président de l'Instituto Noos, une société à but non lucratif chargée de l'organisation d'un congrès touristique international dans les Baléares. Sentant l'orage approcher, Juan Carlos Ier lâche le duc de Palma - qui vit alors encore à Washington, où il s'était exilé en 2008 à la fin de son mandat et dans des circonstances troubles - avant même les fêtes de fin d'année tandis qu'une brigade anticorruption, sur mandat du juge d'instruction majorquin José Castro, mène les investigations. Des perquisitions dans les locaux de l'Instituto Noos viendront confirmer les présomptions et avérer les sommes détournées par divers biais (au moins 5,8 millions engrangés abusivement à coups de fausses factures ou de prestations fictives).
En février 2012 a lieu la première audition du suspect royal par le juge José Castro. Amaigri, les traits tirés, Iñaki Urdangarin subit la vindicte populaire à son arrivée au tribunal pour une déposition marathon. Peu de temps après, quatre chefs d'inculpation sont avancés. Tandis que l'instruction suit son cours sans publicité, le gendre du roi perd son père. En août, il revient de Washington avec Cristina et leurs quatre enfants : le couple s'installe à Barcelone, toujours mis à l'écart des activités officielles de la famille royale, pour pouvoir au mieux répondre aux sollicitations de la justice et préparer leur défense. En fin d'année, sur fond d'incrimination potentielle de l'infante Cristina par l'ex-associé de son mari, le procès se profile, et l'accusation - par la voix du procureur Pedro Horrach - réclame une caution civile solidaire de 8,2 millions d'euros à Iñaki Urdangarin et Diego Torres. Il est entendu qu'en cas d'incapacité de régler le montant de la caution dans les délais fixés par le juge Castro, les biens immobiliers (ils ont trois appartements et deux garages à Palma, et un appartement à Terrassa) et à Terrassa (un appartement) serviraient alors de garantie bancaire devant le tribunal. Dans le même temps, le duc et la duchesse de Palma déménagent de leur manoir cossu de Pedralbes (acquis en 2004 pour 6 millions d'euros, plus 3 millions d'euros de travaux), banlieue résidentielle chic de Barcelone, pour s'installer dans une maison plus modeste.
Janvier 2013, le roi Juan Carlos Ier prend de nouvelles distances vis-à-vis de son gendre, très mal embarqué. Quelques jours plus tard, l'accusation rend son rapport. Il est à charge. Viennent de nouvelles auditions : lors de la sienne, Diego Torres, qui menaçaient depuis des mois de ce genre de représailles, balance sur son ancien associé, mais aussi sur l'infante, sur leur homme de confiance, et sur la Maison royale, qui aurait selon lui cautionné tous leurs agissements. L'infante Cristina se retrouve à son tour convoquée au tribunal, en tant que témoin. Dans l'opinion, le débat fait rage sur "l'immunité" dont la fille du roi pourrait bénéficier ; le parquet anticorruption s'oppose à la décision du juge Castro, qui annule l'audition de l'infante, mais l'enquête se poursuivra.
Une maison en feu
En août 2013, on apprend que l'infante Cristina, dans le cadre de ses missions à la tête de la branche internationale de la Fondation La Caixa, part vivre avec ses enfants à Genève, en Suisse. Dans un premier temps, sans son mari. Quelques jours plus tard, celui-ci met en vente la propriété de Pedralbes, qui était à la location depuis qu'ils ne l'occupaient plus. "Vue panoramique sur la ville", "maison de 1000 m² sur terrain de 2200 m²", "intimité", sur 3 niveaux avec ascenseur, 7 chambres, une piscine... Le bien a du cachet, et une valeur propre à couvrir la caution fixée à 6,1 millions d'euros par le juge, lundi 4 novembre. Celui-ci a d'ailleurs ordonné la saisie des différentes propriétés d'Iñaki et son ancien associé, dont la moitié de la villa de Pedralbes.
Sont également concernés par la saisie ordonnée les biens immobiliers (appartements, garages...) à Palma de Majorque et Terrassa ainsi que les sociétés au nom du gendre du roi et de son épouse. Idem du côté de Diego Torres. Le juge en charge de l'instruction a tenu à rappeler que les deux prévenus avaient failli à payer la caution de 6,1 millions d'euros fixée le 30 janvier dernier, obligeant à cette mesure coercitive de saisie.
Seul motif de satisfaction pour la défense d'Iñaki Urdangarin : le tribunal a par ailleurs décidé dans le même temps de débouter Diego Torres de son appel et d'exclure des pièces versées au dossier Noos les échanges de courriels entre le mari de l'infante et son ex-associé. Ce dernier entendait démontrer grâce à ces messages l'existence d'une réunion qui aurait eu lieu au palais royal de la Zarzuela à Madrid, au su et avec l'assentiment de la famille royale, concernant des tractations frauduleuses.
La semaine dernière, le duc et la duchesse de Palma revenaient très exceptionnellement de Genève pour assister au mariage de Pablo Lara, fils de José Manuel Lara, président de Grupo Planeta. En dehors de cela, c'est surtout la reine Sofia d'Espagne qui fait les allers-retours en Suisse : après l'anniversaire de son petit-fils Juan Valentin, aîné des quatre enfants de Cristina et Iñaki, elle se trouvait ce week-end à Genève pour ses propres 75 ans.