"J'ai pas toujours trouvé les mots, pour bercer tes rêves d'enfant, ensemble on est devenu grand, (...) J'ai jamais su trouver les gestes, qui pouvaient soigner tes blessures, guider tes pas vers le futur... (...) Au-delà de nos différences, des coups de gueule, des coups de sang... maintenant qu'on est face à face, On se ressemble sang pour sang". Nul besoin d'aller chercher bien loin pour comprendre qu'entre David Hallyday et Johnny, la relation n'a pas toujours été facile. Il suffit d'écouter les premières paroles de la chanson Sang pour sang, composée par le fils pour son père en 1999, et que David vient de ressortir dans une version inédite. Mais tout avait commencé bien plus tôt...
"Être père, cette responsabilité me fait peur, m'angoisse. Il faut que je sois à la hauteur. Ne surtout pas ressembler à Léon, mon propre père. Être digne. Rockeur, mais digne. Assurer."
Ces pensées tourmentées, exprimées dans les pages de l'autobiographie de Johnny, Destroy, sortie en 2000, agitent l'esprit du chanteur en cet été de l'année 1966. La perspective de devenir père le confronte à ses propres démons, lui qui a grandi sans le sien. Lui qui, à 23 ans, connaît la gloire, mais pas la stabilité sait qu'il doit assurer, mais est-il prêt ?
David n'a pas encore vu le jour que Johnny fuit, se perdant dans les dédales de sa vie d'artiste. À l'approche de la naissance, Sylvie Vartan, la future maman qu'il a épousée l'année précédente, trouve son mari distant, presque ennuyé par ce qui l'attend. Comme souvent, le chanteur cherche refuge dans les excès, ce qui exaspère Sylvie. Elle lui fait remarquer qu'il devrait commencer par éviter de reproduire les schémas de son père s'il veut réellement s'en distinguer.
À quelques jours de l'accouchement, Sylvie, à bout, envisage même de demander le divorce. Mais les contractions surviennent. Dans la douleur, elle donne naissance à David.
Nous sommes le 14 août 1966. Où se trouve Johnny pendant ce temps ? À Milan, où il se produit lorsqu'il apprend la nouvelle. "La naissance du roi David est célébrée comme il se doit. Et même un peu plus", écrit Johnny a posteriori dans son autobiographie.
Pour fêter l'événement, le rockeur boit et saccage en partie un hôtel, comme il le fait parfois avec ses potes de tournée. Le lendemain encore ivre, puisqu'il a continué d'arroser l'arrivée du bébé dans l'avion, il débarque à la Clinique du Belvédère, établissement huppé de Boulogne. "Bloqué par l'émotion, totalement désemparé, je découvre mon fils. Je ne peux détacher mes yeux du bébé. J'éprouve une immense fierté. Sylvie vient de me faire le plus beau cadeau du monde."
Un "cadeau", que son métier va vite reléguer au second plan. David est gardé par sa mère, Sylvie, qui est apparue extrêmement émue récemment, et sa grand-mère, Néné. "Je le voyais trop rarement entre les tournées, déplorera Johnny dans sa biographie. (...) Trop absent, je n'ai pas été aussi bon père que je l'aurais souhaité. Et j'en ai souffertJ." Comme le chanteur souffrira, cruellement, et bien des années plus tard de cette remarque faite par David à un journaliste qui lui demandait quels souvenirs l'enfant conservait de son père. Réponse laconique : " Le bruit de ses bottes quand il rentrait la nuit ". Johnny conclut : " les vrais artistes, en particulier les rockeurs, sont rarement des papas gâteau... "
Même si Johnny voit peu son fils grandir, son amour pour lui demeure constant, et il ressent toujours une grande fierté à son égard, le faisant souvent monter sur scène à ses côtés lors de ses concerts. La musique, finalement, est ce qui les unit. David se rappelle que lorsqu'il avait 6 ans, son père venait le réveiller en lui disant : "Montre à mes potes comment tu sais jouer de la batterie". Johnny, lui, reconnaîtra finalement dans une interview pour Paris Match en mai 2009 : "j'ai plutôt construit ma vie professionnelle avant ma vie personnelle (...) toute mon existence, ça a été un grand regret. (...) En fait, David et moi, nous nous sommes découverts à son adolescence. Quand nous avons pu enfin parler. Quand il a pu enfin comprendre. Me comprendre."
Cela n'a pas empêché les incompréhensions ni les brouilles de venir jalonner leur histoire. Au début des années 2000, par exemple... À cette époque-là, David est encore en couple avec Estelle Lefébure. Les journalistes Laurence Pieau et François Vignolle rappellent dans leur livre Laeticia, la vraie histoire, sorti en 2018 qu'Arthur, l'animateur, désormais fou amoureux de Mareva, avait fait la connaissance d'Estelle lors d'un concert de Johnny Hallyday. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais David avait compris après coup que son père avait invité Arthur et Estelle à venir dîner à Marne-la-Coquette, alors que lui était encore en couple avec la mannequin. "Aux yeux de David, c'est un peu comme si son père devenait complice de la tromperie", avait expliqué un proche à nos confrères qui expliquent qu'à l'époque, c'est Laeticia qui avait tenté, sans succès, d'apaiser les tensions entre le père et le fils.
Elles ne vont faire que croître après le divorce de David. Lorsque ce dernier se sépare d'Estelle dans la douleur, en 2003, il est au creux de la vague, tant moralement que professionnellement. À 35 ans, il vit mal cet échec. Afin de l'aider à remonter la pente, ainsi que le racontent Laurence Pieau et François Vignolle, David revient vivre chez Johnny et sa nouvelle épouse. "Il n'avait pas un rond, Laeticia l'a accueilli", résume Jean-Claude Camus, cité dans le livre. Si dans un premier temps, la cohabitation se déroule bien, rapidement, des tensions apparaissent. Nos confrères écrivent : "David demeure un an chez son père, où sa vie débridée de célibataire finit par faire désordre. Sans que les choses ne soient vraiment dites, il est "invité à partir", à passer le seuil de la porte." Les amis de David accusent Laeticia d'avoir "bâti un dossier contre lui"."
L'événement semble constituer un tournant dans la relation entre David et Laeticia, avec des incidences sur les rapports père-fils. Tout va voler en éclat en 2009. Cette année-là, Johnny est hospitalisé en urgence à Los Angeles. Interrogé par Le Point, Eric Le Bourhis, auteur de Johnny, l'incroyable histoire raconte : "David était furieux de tout le cirque médiatique qui entourait l'hospitalisation de son père, avec des people qui entraient dans sa chambre, Il s'en est expliqué fermement avec Laeticia, tous deux ont eu des mots, la dispute a été mémorable. Et quand Johnny est sorti du coma, il s'est brouillé avec son fils pendant presque un an".
David se réfère-t-il à cet événement lorsqu'il affirme, en novembre dernier au Journal du dimanche à propos de son père : "Il y a eu des moments dans sa vie où il a été sous l'influence de personnes proches qui l'encourageaient à me mettre de côté. Et il pouvait avoir la faiblesse d'y céder." David note même que cette tendance à reléguer son fils au second plan pouvait s'accompagner d'une rivalité : "il s'est montré influençable à une certaine période, à quoi s'ajoutent un esprit et même un esprit certain de compétition. J'ai fini par lui dire ce que j'en pensais, il en a paru embarrassé".
Encore aujourd'hui, alors qu'il n'en finit pas de rendre hommage à son père à l'occasion de la sortie de son nouveau morceau dans lequel il donne toute sa place à son fils Cameron, celui qui est aussi le papa d'Emma et Ilona semble conserver quelques rancoeurs vis à vis de son géniteur. Appelé à expliquer, ce 24 avril 2024, dans le Parisien certaines paroles de la chanson Sang pour sang, il vient de lâcher à propos de Johnny : "Pour moi, réussir ma vie, c'est garder le contact avec mes enfants, même quand ils sont grands, qu'ils aient toujours envie de me voir. Et ça m'a beaucoup manqué avec lui." Un regret, comme si les blessures que le père n'avait pas su soigner, étaient toujours douloureuses.