Pour le meilleur mais aussi le pire, le Batman de Christopher Nolan a donné une nouvelle impulsion aux films d'action hollywoodiens modernes. Passés sous la coupe de la caméra à l'épaule comme indice du "vrai" depuis les Jason Bourne de Paul Greengrass, les studios se sont employés à rapprocher leurs héros de la réalité, poussés par le sacre de The Dark Knight (2008), considéré comme un tournant dans l'histoire des super-héros. Une noirceur assumée par Nolan qui s'est transformée en premier degré improbable dans de mauvaises mains, confirmé par un premier teaser de Man of Steel très torturé et un Total Recall descendu en flèche - Paul Verhoeven a d'ailleurs déclaré que Len Wiseman se prenait trop au sérieux. Au milieu de cette tempête un brin déprimante, Dredd de Pete Travis avec Karl Urban dans le costume improbable de Sylvester Stallone se présente comme une belle alternative, débridée, décérébrée, délirante et diablement innocente. Présenté en première mondiale à L'Étrange Festival de Paris le dimanche 16 septembre, le film d'action hyperviolent a confirmé sa bonne réputation de plaisir coupable.
Retour au bercail
Né en 1977 dans la revue britannique 2000 AD avec les mots de John Wagner et la plume de Carlos Ezquerra, le dénommé Judge Dredd décroche une place dans le coeur des amateurs de séries B avec le film éponyme de Danny Cannon porté par Stallone. Passé à la moulinette du remake, le flic sans foi mais très loi se recentre sur la violence pour sa version filmée en 3D.
Dredd se déroule dans une Amérique dévastée. Retranchés dans Mega-City One, une cité au milieu d'un désert irradié, 800 millions d'êtres humains se déchirent dans une cité ultraviolente, rongée par les gangs et une nouvelle drogue nommée Slo-Mo. Pour enrayer les crimes, la police a formé un escadron de flics uniques qui peuvent arrêter, juger et exécuter les criminels pour accélérer la justice. Parmi les meilleurs Juges de la ville se trouve Dredd (Karl Urban), qui est envoyé dans un immeuble pour enquêter sur trois meurtres avec une recrue télépathe (Olivia Thirlby). Mais leur présence ne passe pas inaperçue et lorsqu'elle comprend que son royaume est menacé, la terrible Ma-Ma (Lena Headey) décide de sceller le bâtiment pour exterminer les représentants de la loi. Un affrontement sans merci sur des dizaines d'étages, au milieu de la population urbaine.
Malédiction Dredd
Curieusement, les coulisses des deux films sont proches. À l'époque du premier, le réalisateur Danny Cannon avait lutté contre Stallone pour imposer ses choix, le scénario ne cessant d'être remanié à la demande de la star - une expérience qui a incité Cannon à ne plus travailler avec des acteurs surpuissants par la suite. Le monde a évolué et c'est vraisemblablement le studio que le réalisateur Pete Travis a affronté pour le remake. La rumeur voulait même qu'il ait été interdit de salle de montage pour être remplacé par le scénariste superstar Alex Garland (Sunshine, Never Let Me Go), en passe d'être crédité coréalisateur. La chose a rapidement été démentie, dans une tradition très hollywoodienne d'entente cordiale.
À l'écran, Dredd ne montre pas de vrai défaut de fabrication, comme un Babylon A.D. (2008) broyé par le studio. L'action est nette, la violence frontale. Pas forcément fausses, les rumeurs sont au moins hors-sujet. Assumant sa dimension de film d'action bourrin ultrasimple, le film ne se répand pas en explications et autres prétextes psychologiques. Le mal est omniprésent, les viscères aussi, si bien que les fusillades et explosions s'enchaînent dans les couloirs de l'immeuble. Le résultat est pour le moins limpide et jouissif, à défaut de provoquer la décharge d'adrénaline espérée après une bande-annonce survitaminée. Trop vite résumé à une promenade à peine palpitante parmi une bande d'abrutis incapables de blesser les héros, Dredd peine à construire une vraie escalade d'action, espérée par les amateurs de séries B à l'affût du moindre indice d'auto-dérision - un rôle assumé par la bouche de Karl Urban, fidèle au comic puisqu'il conserve son casque.
Reste un vrai plaisir coupable, ainsi qu'une esthétique léchée qui explose dans des scènes au ralenti démentes - en partie parce que le studio n'a déboursé que 45 modestes millions. Expliquées par une pirouette scénaristique amusante, ces séquences hallucinées sont parmi les meilleurs moments d'un film innocent et sans conséquence, qui permet néanmoins de propulser les excellentes Lena Headey (Game of Thrones, 300) et la révélation Olivia Thirlby (Juno, Nobody Walks) dans un nouveau cercle de divertissement, avec les deux rôles les plus intéressants du film. Dommage que leur duel n'ait pas lieu et que le film écarte tout sous-texte politique et social, d'une évidence tordante.
Geoffrey Crété