Comment retrouver un chanteur qui a disparu de la circulation ? Telle est la mission que nous nous étions fixés en nous apercevant que Thierry Hazard, l'inoubliable et pourtant si oublié interprète du Jerk, le tube qui a fait danser les foules durant l'été 90, allait fêter son 62e anniversaire...
À l'époque où le morceau est sorti, on aurait appelé les renseignements, consulté un bon vieux bottin, pages blanches ou jaunes ou tapé "3615 à l'aide" sur notre minitel. Par chance, aujourd'hui, il y a internet et même ChatGPT, autant dire que la quête s'annonçait facile...
Du moins le croyait-on avant de tomber sur des articles de confrères qui s'étaient visiblement cassés les dents avant nous sur le sujet. "Un épais mystère", "Depuis 25 ans, personne ne sait ce qu'il est devenu", "Impossible d'avoir des nouvelles du chanteur...", "Il aurait déménagé aux Etats-Unis", "Il serait désormais animateur radio à Tahiti". Aïe, la tâche allait peut-être se corser.
"Thierry Hazard, de son vrai nom Thierry Gesteau, est un chanteur français né le 7 juin 1962 à Compiègne" nous dit Wikipedia. Commençons donc par le commencement. Google : "Thierry Hazard". Formidable, un premier lien apparaît, thierryhazard.fr. C'est le site d'un comédien qui doit avoir la cinquantaine. Notre chanteur se serait-il reconverti ? Un numéro de téléphone, un agent. Le journaliste jubile... avant de déchanter. "Ah non, désolé, le Thierry Hazard dont je m'occupe est comédien. Il n'a jamais été chanteur". "Vous en êtes sûre ?" "Certaine, vous n'êtes pas le premier à demander." Raté.
Retour à Wikipedia. À côté du nom de Hazard, celui d'un producteur, Daniel Glikmans. Nouvelle joie. Ce monsieur a un site : glmusic.com. "Espace dédié aux projets musicaux présents et passés de Daniel Glikmans. Guitariste, chanteur, auteur et compositeur." Sur les premières photos, l'homme a le crâne dégarni. C'est bon signe. Sous un onglet intitulé 1980's, il a réuni des compo. Pas de doute, on y est. On dirait du Goldman ou du Berger. Les synthés s'en donnent à coeur joie, pas de saxo ou de guitares funky comme dans le Jerk, mais Thierry Hazard n'est pas bien loin. Le mail de Daniel non plus. Hop : "Urgent, vous contacter." Pas de mention de notre chanteur recherché à ce stade, s'il a délibérément voulu disparaître de la circulation, ses proches ont sans doute des consignes. Essayons de préserver nos chances.
Lorsqu'un journaliste veut parler à un chanteur, en général, il appelle sa maison de disques. Mais il y a belle lurette que CBS, celle qui a sorti le Jerk, n'existe plus. Elle est devenue Columbia, l'un des nombreux labels de Sony Music. Ça s'annonce compliqué, les attachés de presse de ces maisons-là sont souvent pressés. Leur but est avant tout de vendre des disques récents, pas d'aider les journalistes... Il nous faudra les appeler huit fois et leur envoyer deux mails depuis deux adresses différentes pour obtenir au bout de quatre jours cette réponse laconique. "Désolé je ne m'occupe pas chez Columbia de cet artiste. Je ne pourrai pas vous aider malheureusement." Ok, on l'avait compris mais ça va mieux en le lisant. On ose quand même cette réponse : "Et vous sauriez qui pourrait nous aider." Grand silence. Les gens de Sony ont du avoir une panne de réseau...
Le Jerk, c'était 520 000 disques vendus en 1990, et un clip inoubliable avec un comédien disparu trop jeune. Mais trente-quatre ans plus tard, on l'entend toujours. Son auteur doit donc toucher des royalties. Direction la Sacem. Un jeune standardiste nous répond. Assurément, c'est un millennial. Le "club à Gogo", il connaît pas. Ni Thierry Hazard. Mais il nous conseille d'aller fureter dans le répertoire des oeuvres. Là, le nom de l'ayant droit apparaît, il s'appelle bien Thierry Gesteau. Miracle, sous le sien, plein de noms d'interprètes. L'un d'eux, Jean-Michel Cursan, nous apprend très gentiment qu'il a déjà chanté le Jerk, mais qu'il est désolé, il ne connaît pas son auteur. Dommage.
Un autre interprète, Gilles Pellegrini, trompettiste connu pour les reprises qu'il fait avec son orchestre, prend lui aussi notre appel. Il connaît Thierry et a jadis travaillé avec lui. Très aimable, il promet d'activer son immense réseau de musiciens et de nous rappeler. Il semble confiant. Nous aussi.
Jusqu'à ce qu'un doute nous assaille : mais au fait, est-il toujours vivant ? "Pour savoir si une personne disparue est toujours vivante, vous pouvez contacter la mairie de sa commune de naissance ou de résidence", nous apprend le site Service Public. Bonne nouvelle, pas besoin d'une filiation avec la personne recherchée pour effectuer une demande d'acte de naissance sur laquelle un décès, s'il était survenu, serait mentionné. Mauvaise nouvelle, ça risque d'être long. Un exemplaire Cerfa plus tard, nous recevons un mail qui nous indique que notre demande va être traitée et que nous recevrons par courrier ledit acte de naissance. Quoi ? Par courrier ? En 2024 ? Heureusement, les fonctionnaires de la mairie de Compiègne sont efficaces. Deux heures plus tard, un mail nous informe que nos informations, -enfin celles de Wikipedia- sont erronées. Nous appelons aussitôt l'état civil de la ville qui nous confirme qu'aucun Thierry Gesteau n'est jamais né à Compiègne. Ce qui ne nous dit pas non plus s'il est encore en vie...
Un autre artiste nous assure que s'il est mort, la Sacem nous en informera. Retour à la société des auteurs. Et soulagement. "Oui, il est bien vivant. Oui, nous avons ses coordonnées mais non, nous ne pouvons pas vous les communiquer. Vous pouvez nous envoyer un courrier avec une enveloppe timbrée que nous lui ferons suivre..." Pourquoi pas.
Et la piste Thierry Gesteau, ne pourrait-elle pas nous aider ? Le vice-président d'une association baptisée Violon d'Ingres, en banlieue parisienne, porte justement ce nom. De la musique, une association, serait-ce lui ? "Je n'ai pas connaissance qu'il ait été un chanteur connu. Mais il a effectivement autour de 60 ans. Voici son mail, écrivez-lui !", nous indique une membre. C'est parti.
L'heure du bouclage approche et toujours rien à nous mettre sous la dent. Allons-nous prendre le bus de 18h17, quitter le bureau et filer sous les éclairs des stroboscopes oublier cette affaire ?
Non, retour à Wikipedia qui ne dit pas que des vérités, mais au point où nous en sommes. "L'illustration de la pochette est signée Serge Clerc", dit l'encyclopédie en ligne. Ce dessinateur semble toujours produire. Il est édité par Denoël Graphic. Deux mails plus tard, il nous téléphone. Très sympathique, mais... "Oulala, mais ça fait des années. Ah oui, Thierry Hazard. Ah non, désolé, mais alors pas du tout. Je ne l'avais même pas rencontré pour faire sa pochette. À l'époque, je travaillais pour Rock & Folk et sa maison de disque avait dû m'appeler. Mais tentez peut-être avec quelqu'un comme Jean-Pierre Mader (qui n'aurait jamais dû chanter Macumba)"
Les stars des années 80, mais c'est bien sûr. La troupe est toujours en tournée. Ils doivent au moins l'avoir contacté. Decibels prod, qui les produit, semble malheureusement aussi pressé que Sony de nous aider. On frôle sans doute le harcèlement téléphonique, mais nos efforts sont enfin récompensés par une réponse, un mail aussi abrupt que déceptif : "Je n'ai pas son contact désolé." Dur.
Mathieu Johann, l'ancien candidat de la Star Academy, passé par une épreuve compliquée, est un garçon charmant. Il est devenu attaché de presse et connaît de nombreux artistes. Il nous donne ce conseil : "Appelle Olivier Kaefer de ma part, voilà son numéro, il connaît tout le monde."
Olivier Kaefer, c'est le producteur qui, en 2006, a eu l'idée de rassembler sur scène de vieilles gloires et qui est à l'origine de la célèbre tournée RFM Party 80. Le concept, près de 20 ans plus tard, fonctionne encore. Un film est même sorti. Et lui en a même fait un livre : Mes étoiles 1980 : Les coulisses de la tournée phénomène.
Miracle, il décroche. "-Thierry Hazard ?, il ne vous parlera pas." "Comment ça, vous le connaissez, vous savez où il est ?" "Je le connais, on se parle régulièrement, mais il a débranché. C'est fini tout ça pour lui." "Ok, mais vous pouvez nous donner de ses nouvelles ?"
Bingooooo ! On a bien conscience de ne pas avoir déniché Xavier Dupont de Ligonnès, dont la maison a été refaite à neuf, et qu'il nous en faudra un peu plus pour décrocher le prix Albert Londres, mais tout de même...
Les nouvelles, livrées par Olivier Kaefer, sont donc les suivantes : "Thierry Hazard ne veut plus être Thierry Hazard, il a retrouvé son vrai nom et veut absolument rester dans l'ombre. Non, il n'est pas du tout à Tahiti, il est à Paris et travaille en tant que musicien de studio. Ne comptez pas sur moi pour vous donner ses coordonnées, ce serait le trahir. Il n'a même pas voulu faire quelque chose pourle type de l'émission de TF1 les 12 coups de midi qui était fan de lui. En revanche, il vient parfois nous voir, sur la tournée, mais il reste dans les gradins. Et entre nous, il ne garde pas un très bon souvenir de cette période."
Nous n'en saurons pas plus. Mais avis aux amateurs, s'ils veulent tenter leur chance, le 30 juin 2024, la tournée Stars 80 fait étape à Saint-Maurice de Rémens, dans l'Ain. Ce soir-là, Gilbert Montagné sera même présent sur scène, invité exceptionnel. Qui sait si dans le public, on ne trouvera pas, assis dans un coin, l'ancien chanteur qui nous a fait nous trémousser sur sa chanson, sans que l'on ne sache jamais vraiment quels étaient les prénoms des quadruplés que firent ses héros, Joséphine et Roger. On se sait jamais, le hasard fait parfois bien les choses.
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