Dalida chantait "Laissez-moi danser", et c'était la sensualité. Katerine chante "Laissez-moi... manger ma banane", et c'est la non-consensualité. Non pas qu'il ne soit pas sensuel, à poil(s) sur la plage avec son fruit gourmand pour le clip de son hymne j'men foutiste La Banane, notre ami au boa rose de Louxor, j'adore ; mais, à l'image de ses éclats de playboy décalé, sa marque de fabrique se situe ailleurs : dans... un ailleurs, justement, totalement katerinesque. Une abstraction ? Un onirisme ? Une poésie rabelaisienne ? Chacun voit midi à sa porte, et Katerine est à son Zénith.
Quel intérêt de crier à la fois au génie et à l'illuminé farfelu quand les deux ne sont pas incompatibles ? Ubuesque, il est le roi des hurluberlus. Une chose que tous ceux qui ont des oreilles constatent : Katerine est tout sauf un fumiste, l'album qui porte son nom tout sauf fumeux. Tout au plus certains soulèveront un paradoxe constitutif de ce vrai phénomène de la chanson : il est tellement libre qu'on s'attend systématiquement à prendre la force de sa liberté en pleine poire. Ce qui pousse immanquablement certains à stigmatiser une "posture" d'artiste.
Entre fausse naïveté et vraies rengaines conceptuelles (Bla Bla Bla, Bien Mal...), dans un bain d'intensité sonore et de compositions mélodiques que leur efficacité appelle à rester, le chef de file des Bisounours sous ecstasy (Des bisoux), qui, après sa séparation d'avec Jeanne Balibar (laquelle interprète cependant avec lui J'aime tes fesses), vit désormais une belle histoire avec la flamboyante Julie Depardieu, ne tient pas en place.
En écho au portrait de famille qui orne son nouvel album éponyme paru en septembre, où il pose, à 41 ans, façon ado mal dégrossi mais béat ("et je vous em-mer-de !"), entre ses parents Jeanne et Pierre Blanchard, mais également à l'horripilant interlude Philippe sur son album, voici que le plus azimuté des artistes déglingo s'est risqué à se faire disséquer au Cabinet des curiosités pour le numéro "le plus terrifiant de l'année" - en lisant ce slogan, on a l'impression d'entendre résonner le rire de cinglé de Katerine sur la chanson Moustache.
Après avoir reçu Olivia Ruiz dans son antre, le darkplanneur Eric Briones s'est délocalisé pour pratiquer la psychanalyse/maïeutique/exégèse de son nouveau cas d'étude, dans un n°34 du Cabinet des curiosités effectivement... curieux. Lui voit Katerine comme un Romain (ou une vestale ?) alangui sur le divan, mais on pourrait tout aussi bien imaginer ce Katerine semi-léthargique comme idéalement positionné pour une poussée créatrice et sous psychotropes.
Dans cet exercice de style à l'ambiance mystique, les confidences prennent un tour étonnant. Comme celles sur le petit Sarkozy et la petite Carla qui sont en Katerine.
Les bases d'un entretien no limit ? Pas forcément : "Je ne suis pas libre, non. Non. J'essaye de repousser un peu les frontières. Mais je ne suis pas libre. Des limites, j'en ai mille", s'inquiète le chanteur.
Au fil de cette conversation décousue et palpitante, la confirmation que les choses ont le sens qu'on leur donne : "Si je pouvais écouter une chanson à l'envers, ça marchait. Quand ça tient la route à l'envers, ça me semble un bon début", explique-t-il quant à la sélection des 24 "chansons" qui composent son nouvel album. On appréciera de découvrir l'histoire vraie de cet étonnant Parivélib' ecstasy-é : "C'était la première fois que je faisais ma chanson en temps réel. Bon, c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de mots dans le disque. Disons que c'est assez économe. Sauf dans ce morceau où j'ai pris de la drogue et où, comme par hasard, je parle beaucoup."
Et quand le darkplanneur remarque que cet album est moins scato que ses prédécesseurs, Katerine rétorque laconiquement, avec un sourire entendu : "Il est très bon d'être infidèle à soi-même, n'est-ce pas ?" Une infidélité qui ne saurait être totale : dans la ritournelle en polyphonie vocale La reine d'Angleterre, on entend bien, en français et en anglais, "Bonjour je suis la reine d'Angleterre et je vous chie à la raie".
La conversation prend finalement un tour très intime, lorsque Philippe Katerine évoque ses 14-15 ans traumatisants, "à la marge" ("Personne m'aimait, personne me parlait. C'est ça être à la marge, j'ai aucune envie de ça."), ou encore son rapport à son hétérosexualité : "J'ai souvent pensé à me faire opérer, à changer de sexe, tout ça. C'est quelque chose qui me poursuit depuis toujours. Avoir des seins que je caresserais toujours. J'ai eu quelques périodes homosexuelles, des grandes attirances, etc. Mais c'est vrai que là je me dirige vers une hétérosexualité assez frappante. Ça m'inquiète, un petit peu..."
Plus qu'une interview, une atmosphère à explorer avec ce Cabinet n°34, en vidéo ci-dessus.
Guillaume Joffroy