Plus personne n'attendait grand-chose de Marie Gillain. Personne, sauf elle-même. A force de lutte, de courage, de conviction et d'un petit grain de folie, la comédienne de 36 ans déclare haut et fort : "Toutes nos envies n'est pas un film de plus pour moi. Mais un moment vital."
Rembobinons son histoire. A 15 ans, Marie Gillain est choisie pour le rôle très convoité de l'adolescente fraîche et mythomane de Mon père, ce héros, face à Gérard Depardieu. Avec une première nomination aux César comme meilleur espoir à la clé. A 18 ans, elle tourne L'Appât de Bertrand Tavernier, un film choc et brutal. Le Prix Romy Schneider scelle un destin de comédienne à suivre, et pourtant, le virage post-adolescent ne se dessine pas.
Dans L'express Styles, l'actrice revient sur ce moment de sa vie : "Mon arrivée dans le cinéma s'est faite sur un coup de dés. J'ai eu la chance de tourner Mon père, ce héros... A 18 ans, on me choisissait pour de beaux scénarios, j'étais juste une gamine gâtée qui ne poussait pas sa réflexion très loin. Et puis on a fini par ne me proposer que des personnages de femme-enfant en conflit avec ses parents."
Marie Gillain se questionne, doute, et tombe très bas. Son audition pour Pulp Fiction de Quentin Tarantino reste son pire souvenir d'audition : "J'ai attendu deux heures sur un banc devant un écran où je voyais les autres actrices passer les essais. Je me suis rendu compte que mon jean n'allait pas. Alors, je me suis glissée dans un placard à balais et j'ai enfilé une robe qui me faisait ressembler à une pouffe improbable ! L'audition a duré cinq minutes et je suis partie en larmes. Je me suis retrouvée dans la rue, débraillée... Un type dans une grosse voiture a ouvert sa portière et lancé 'Mademoiselle, vous voulez coucher avec moi ?' L'humiliation était totale ! Mais c'est la vie d'une actrice."
Sous ses faux-airs de gentille actrice sage et banale, Marie Gillain cache un tempérament de feu. Quand elle apprend que Philippe Lioret adapte le roman D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère (La Moustache, déjà avec Vincent Lindon), elle est persuadée qu'elle peut et doit obtenir le rôle de Claire, une juge rongée par une tumeur et l'injustice sociale qui contamine notre société. Elle s'arrange pour le rencontrer et comprend vite que le réalisateur ne veut pas d'elle : "Il a évoqué une heure durant toutes les comédiennes qu'il avait vues en sollicitant mon avis... Je l'ai supplié de m'envoyer le scénario, ce qu'il a fait, en y joignant un message clair : 'Je te prie de le lire en toute amitié et sans arrière-pensée'."
Evidemment, la lecture du scénario la bouleverse. Elle demande à tenter sa chance, passe une audition, et attend. Trois mois passent, jusqu'à ce que l'actrice insiste auprès de son agent pour entendre la réponse tant redoutée : Lioret n'est pas convaincu. "J'étais dépitée, mais surtout très en colère. Je me sentais à un tournant de ma carrière et traversais un moment de grande remise en question. Si je n'avais pas la légitimité pour être dans ce film, il fallait que j'arrête le cinéma ! Alors j'ai mis mon orgueil de côté et lui ai écrit une longue lettre en expliquant pourquoi j'étais persuadée que j'étais 'sa' Claire."
Philippe Lioret la rappelle pour passer des essais. Elle apprend la moitié du scénario en une nuit, se donne à fond, tente le tout pour le tout. La preuve que ça n'arrive pas qu'au cinéma : sa détermination paye, et le réalisateur change d'avis. Deux ans après un second rôle dans Coco avant Chanel, Marie Gillain reprend le contrôle de sa carrière.
Après une série de rendez-vous ratés - elle a refusé le rôle de Marion Cotillard dans Jeux d'enfants - voire carrément manqués - La très très grande entreprise, Les femmes de l'ombre, Ma vie n'est pas une comédie romantique ne touchent pas le public -, Marie Gillain se confie dans les pages de Studio Ciné Live sur l'importance de Toutes nos envies dans sa vie : "Ca fait des années que je l'attends, car peu de rôles féminins de mon âge me font rêver dans le cinéma français récemment. Je n'ai aucun regret sur les films que j'ai pu refuser même si certains ont été des succès. Mais le plus souvent, je me sens comme une voiture de course planquée dans un garage."
Toutes nos envies sort le 9 novembre. Soit cinq ans après Je vais bien, ne t'en fais pas, un autre film de Philippe Lioret qui lançait en grande pompe la carrière de Mélanie Laurent. Rencontrer le succès public et être considérée comme une actrice de premier plan : c'est tout le mal qu'on souhaite à Marie Gillain.