En nous quittant dans la nuit du 28 au 29 mars 2019 à cause d'un cancer, la figure de la Nouvelle Vague Agnès Varda (90 ans) laisse à ses innombrables admirateurs et admiratrices cinéphiles des oeuvres d'une poésie infinie. Retour sur le parcours d'une photographe, réalisatrice de cinéma et plasticienne qui a inspiré et continue d'inspirer des générations d'artistes à travers le monde.
Agnès Varda, Arlette Varda de son vrai prénom, est née le 30 mai 1928 à Ixelles d'un père grec et d'une mère française. Sa famille fuit la Belgique en 1940 et s'installe au bord de la mer, à Sète, où elle vit son adolescence. Pour ses études, la jeune Agnès se rend à Paris et étudie dans de prestigieux établissements : la photographie aux Beaux-Arts, l'histoire de l'art à l'École du Louvre. Grâce à son amitié avec l'épouse de Jean Vilar, elle devient la photographe du Théâtre national populaire qu'il dirige. De sa liaison avec le comédien Antoine Bourseiller naît Rosalie Varda, future costumière de cinéma âgée de 60 ans aujourd'hui.
Dans les années 1950, Agnès Varda concrétise ses rêves de cinéma malgré son manque de moyens. Elle signe La Pointe courte dans lequel jouent Philippe Noiret et Silvia Monfort. Un film qui se déroule sur les terres de son adolescence, à Sète, et raconte l'histoire d'un couple qui retrouve du souffle au cours d'errances et réflexions dans un village de pêcheurs. Cette première oeuvre marque la critique grâce à son genre néo-réaliste, sa fraîcheur et sa liberté. Alain Resnais (décédé il y a cinq ans exactement), qui en fut le monteur, n'a jamais caché l'influence que ce film a eu sur lui.
À la fin des années 1950, marquée par sa rencontre au festival de Tours avec le cinéaste Jacques Demy, et au début de la décennie suivante, la notoriété d'Agnès Varda est grandissante. Elle réalise en 1961 Cléo de 5 à 7, une oeuvre qui impose le genre cinéma-vérité.
Entre 1968 et 1970, Agnès séjourne en Californie et son existence en Amérique lui inspire le film Lions Love (1969). Elle rentre en France en 1970 et tourne, à l'heure de la libération des droits de la femme, le film féministe L'une chante, l'autre pas et fait partie des signataires en 1971 du manifeste des 343, appel pour la dépénalisation et la légalisation de l'IVG. Retour à Los Angeles en 1979 où elle réalise le documentaire Mur murs et une fiction inspirée de sa vie à Venice, Documenteur. Durant sa vie aux États-Unis, Agnès Varda côtoie le leader des Doors, Jim Morisson. Elle sera d'ailleurs présente lors de son enterrement au cimetière du Père-Lachaise à Paris en 1971.
Après avoir été jurée en 1983 du 40e Festival de Venise, Agnès Varda sort deux ans plus tard Sans toit ni loi avec la coqueluche du cinéma d'auteur, Sandrine Bonnaire. Dans ce drame, l'actrice incarne une vagabonde dont on découvre la vie libre mais difficile et le film remporte le Lion d'or à la Mostra de Venise. Elle s'attaque ensuite à la star Jane Birkin en tournant un diptyque sur sa vie : Jane B. par Agnès V. et Kung-Fu Master.
Après la mort en 1990 de son mari et père de son fils Mathieu, le réalisateur des Parapluies de Cherbourg Jacques Demy, elle lui rend hommage avec trois films : Jacquot de Nantes, une fiction et deux documentaires : Les demoiselles ont eu 25 ans et L'Univers de Jacques Demy.
Avec Les Glaneurs et la Glaneuse (2000), Agnès Varda fait sensation auprès de la critique. Avec une caméra numérique, la réalisatrice part à la rencontre de ces Français récupérateurs, travailleurs, qui se baissent et ramassent le rebut. La réalisatrice, glaneuse en chef d'images, signe un documentaire inédit sur la pauvreté et les inégalités sociales, rehaussé par son humour, sa poésie et son sens du décalage. Elle y rend un hommage aux patates oubliées, légume qu'elle collectionne et vénère. À 80 ans, l'infatigable artiste montre encore toute sa passion avec Les Plages d'Agnès (2008, César du meilleur documentaire). Elle qui adorait les plages est revenue sur celles qui ont marqué sa vie, elle invente une forme d'auto-documentaire.
César d'honneur en 2001, prix René-Clair de l'Académie française en 2002, Palme d'honneur au Festival de Cannes 2015, Oscar d'honneur reçu en 2017 et remis par Angelina Jolie et par la Caméra de la Berlinale en 2019, Agnès Varda – qui arbore sa célèbre coupe de cheveux bicolores depuis 2008 – a gagné le statut d'icône. Grâce à sa collaboration avec JR, elle réalise Visages, villages et conquiert un public encore plus large avec plus de 260 000 entrées. Pendant deux ans, la réalisatrice quasi nonagénaire et l'artiste de street art parcourent la France à bord d'un camion-photomaton. Ils prennent en photo les gens dans leur cabine, impriment leurs visages et collent des impressions grand format sur les murs des villages délaissés. L'accueil de ce film, produit par un financement participatif, est dithyrambique. Il obtient l'Œil d'or du meilleur documentaire au Festival de Cannes et une nomination à l'Oscar.
Pour faire part de son chagrin, JR a évidemment choisi un cliché en tant que photographe émérite qu'il est et qu'Agnès Varda était. L'image est aussi magnifique que touchante.
"Elle devait inaugurer ce soir une exposition à Chaumont-sur-Loire qui s'ouvrira donc sans elle", a déclaré Cécilia Rose de Tamaris productions, productrice de ses films depuis 17 ans.
Les mots empreints d'admiration et de tristesse se répandent désormais. "Bouleversé, accablé, endeuillé : ces sentiments qui accompagnent la certitude que nous venons de perdre l'une des plus grandes artistes de notre époque. Agnès Varda, je vous témoigne mon respect, ma reconnaissance et mon admiration", a réagi le ministre de la Culture Franck Riester sur Twitter. Julie Gayet, à qui Agnès Varda avait offert son premier grand rôle dans Les Cent et une nuits de Simon Cinéma, a publié une photo où elle pose avec son compagnon François Hollande et la cinéaste. En légende elle écrit : "Je suis triste, triste, triste, triste, triiiiiiiiiste... Mon Agnès tu vas me manquer terriblement, un vide énorme... Ma maman de cinéma. Toi qui m'a tout appris. Je suis sans voix, pas envie de parler à tous ces journalistes qui me demandent ce que je pense de toi. De ton insolence, de ta pertinence, de ta pugnacité, de ta vivacité, de ton cinéma. Toi qui te battais pour un cinéma exigent, différent, indépendant, artisanal... et familial ! Tu es ma famille. Je t'aime" Julie Gayet avait accompagné Agnès Varda aux Oscars en 2017, puisque la première avait produit le film de la seconde, Visages, villages, nommé dans la catégorie meilleur documentaire.
Son collègue Claude Lelouch a déclaré à l'AFP : "C'est une très grande dame du cinéma et une très grande dame tout court qui nous quitte. Pendant 90 ans elle accompagné l'histoire du cinéma. Elle a été très en avance sur tout le monde, elle a été la première à faire des films qui ont influencé la Nouvelle Vague. Les gens du cinéma peuvent être tristes. Je l'ai souvent côtoyée, j'allais voir ses films, elle les miens, nous avions une relation amicale formidable. C'est la première femme metteur en scène du cinéma. Elle a fait de ce métier un métier aussi important pour les femmes que les hommes. Elle a toujours été dans les bons combats."
Alain Terzian, président de l'académie des Arts et Techniques du cinéma, a écrit un communiqué pour sa mort, dont voici un extrait : "Ma chère Agnès, depuis des années, tu étais pour nous un repère, un phare, un socle. Le conseil d'administration des César était très fier de pouvoir te compter parmi les siens. Nos pensées les plus affectueuses se tournent vers Rosalie et Mathieu, tes enfants, et vers tous les tiens..."
Macha Méril connaissait bien Agnès Varda : elle a joué dans son film Sans toit ni loi et est la veuve de Michel Legrand, compositeur de la musique Les Parapluies de Cherbourg, réalisé par Jacques Demy, l'époux de madame Varda. La comédienne lui rend hommage sur RTL : "C'était une femme incroyable, j'avais beaucoup d'admiration pour elle. Je me dis que, pour réussir une carrière pareille, il faut être une sorcière, il faut être terrible et avoir une notoriété extraordinaire. On l'appelait la grand-mère de La Nouvelle Vague."