Le 1er novembre sort sur les écrans D'après une histoire vraie, présenté à Cannes, de Roman Polanski. Il s'agit de la cinquième collaboration entre le réalisateur franco-polonais et son épouse Emmanuelle Seigner, presque trente ans après Frantic, sorti en 1988.
Dans une grande interview accordée à Citizen K, Roman Polanski, 84 ans, évoque Emmanuelle, mais aussi Sharon Tate, sa précédente épouse, assassinée par les adeptes de Charles Manson en 1969, ou encore son statut d'éternel fugitif : cet été, un juge américain a refusé d'abandonner les poursuites pour agression sexuelle sur mineure contre le réalisateur, comme le demandaient l'accusé et sa victime Samantha Geimer, quarante ans après les fais.
D'après une histoire vraie, sur un scénario d'Olivier Assayas, est adapté du roman de Delphine de Vigan, sorti en 2015, pour lequel elle a reçu le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens. Il raconte l'histoire d'une romancière dont la vie est peu à peu prise en otage par une admiratrice. Emmanuelle Seigner incarne cette écrivaine que séduit puis hante la troublante Elle, incarnée par Eva Green, dans l'un de ses très rares rôles en langue française. Pour résumer le film, Roman Polanski cite ce proverbe polonais : "Quand le diable ne vient pas, il envoie une femme." Après Frantic, Lunes de fiel (1992), La Neuvième Porte (déjà une histoire de diable, en 1999) et La Vénus à la fourrure (2013), c'est la cinquième fois qu'il fait tourner Emmanuelle Seigner (51 ans), son épouse et mère de ses enfants, Morgane (24 ans) et Elvis (19 ans) : "Sur Frantic, on ne se connaissait pas assez pour avoir cette distance sur le plateau. Avec son expérience, c'est plus facile maintenant. La relation est comme avec toute autre actrice. D'ailleurs, pour D'après une histoire vraie, on ne se rendait pas sur le tournage dans la même voiture. Elle partait plus tôt, car je n'avais pas besoin de maquillage, du moins pas encore, raconte Polanski à Citizen K. Et elle rentrait plus tôt car j'ai toujours des trucs à faire en studio." Tous ces films, et bien d'autres classiques de Polanski, seront de nouveau projetés à l'occasion de la rétrospective qu'organise la Cinémathèque française du 30 octobre au 3 décembre 2017.
Pour autant, tourner avec son épouse n'est pas toujours une partie de plaisir. Difficile de décrocher après une journée de travail : "Le plus emmerdant était le retour à la maison, puisque je n'avais pas besoin du débriefing de la journée. Emmanuelle voulait parler de son rôle, alors je la suppliai : 'Au secours, là, on dîne !'"
Emmanuelle Seigner n'est pas la première compagne de Polanski à tourner sous sa direction. Sharon Tate, qu'il avait épousée en 1968, était la star de son délicieux et terrifiant Bal des vampires, sorti en 1967. En 1969, Sharon Tate, enceinte de huit mois, et quatre de ses amis sont sauvagement assassinés par les adeptes de Charles Manson, qu'on surnomme "la famille". Quentin Tarantino a annoncé que la secte serait le sujet de son prochain film ; Roman Polanski ne semble pas s'en émouvoir : "Je ne pense pas vraiment que son projet soit gênant. Je n'ai aucune idée de ce qu'il prépare. Je sais juste qu'il fait un film sur cette époque et que le meurtre de Sharon est une partie qui clôt le film. Car cela a totalement changé Hollywood, avant ça, on ne fermait jamais de portes. Je ne sais même pas si nous avions une clé dans la serrure. C'était un endroit où l'on se sentait en sécurité. Après, Hollywood est devenu un ghetto de forteresses."
Le meurtre de Sharon Tate et de ses amis a mis fin à l'esprit du Summer of Love et a fâché Polanski avec Steve McQueen (ami proche de Sharon, il n'a pas assisté à ses obsèques) ainsi qu'avec la presse. Le traitement de l'affaire a été terrible. Sharon a été pointée du doigt, tout comme Roman par des titres aussi sérieux que le Time ou Newsweek, rappelle le réalisateur.
En 1977 éclate l'affaire Samantha Geimer. La jeune fille de 13 ans accuse le réalisateur de viol ; outre Samantha, qui milite pour l'oubli de cette affaire, deux autres femmes ont depuis accusé le réalisateur d'agression sexuelle. Quarante après les faits, la justice américaine ne lâche rien. Pour Polanski, qui a circulé librement partout durant toutes ces années, c'est la sortie du documentaire Wanted and Desired en 2008 qui a remis le feu aux poudres : "Le paradoxe de ce retournement, c'est que le documentaire révélait de graves irrégularités de procédures favorables à ma défense." Pourtant, le 27 septembre 2009, le réalisateur est arrêté à Zurich. Depuis sa prison, il termine le montage de The Ghost Writer (2010). Il est finalement relâché pour être assigné à son domicile de Gstaad avant que la Suisse ne refuse de l'extrader vers les États-Unis. Comme la France et la Pologne. "Il est préférable de ne pas me rendre ailleurs au risque de revivre la même expérience", admet-il aujourd'hui.
Citizen K, en kiosques le 29 septembre 2017.