Marguerite & Julien fascine à plusieurs titres. Déjà pour son sujet, une romance fiévreuse inspirée d'un fait divers de la fin du XVIe siècle : l'inceste entre un frère et une soeur. La réalisatrice Valérie Donzelli revisite à sa façon cette histoire en forme et la transforme en une légende, un conte douloureux. Son passage à Cannes interroge par ailleurs. Pourquoi le film de celle qui a été acclamée sur la Croisette pour La Guerre est déclarée a reçu un tel accueil ? Retour sur la production de ce long métrage ambitieux par sa forme et son fond jusqu'à sa sortie en salles.
Au début des années 1970, Suzanne Schiffman repère un article sur l'histoire tragique de Julien et Marguerite de Ravalet et en parle à François Truffaut, apprend-on dans Studio CinéLive. Elle lui suggère de discuter de ce sujet avec son coscénariste de Jules et Jim, Jean Gruault. Naîtra alors un scénario, mais Truffaut abandonne l'idée de réaliser le film, voyant à l'époque trop de films sur le sujet comme Le Souffle au coeur de Louis Malle. Jean-Claude Brialy s'intéresse à ce récit et choisit Isabelle Adjani et Julien Clerc pour les rôles principaux. Malheureusement, la carrière de cinéaste de Brialy bat de l'aile avec l'échec de son film Un Amour de pluie. Pourquoi pas une série-télé alors ? Le sujet de l'inceste ne passerait jamais sur le petit écran - Jean Gruault finit alors par mettre de côté son scénario, qui finira par être publié. Un livre que Valérie Donzelli recevra alors en cadeau.
Si les véritables Julien et Marguerite avaient 21 et 17 ans à l'époque, Valérie Donzelli choisit des acteurs plus âgés pour les incarner : "Je ne voulais pas mettre cette histoire d'amour impossible sur le compte de l'innocence", explique-t-elle à StudioCinéLive. Mais elle ne s'autorise pas pour autant à jouer dedans, se trouvant trop vieille et a envie d'offrir le rôle à une autre actrice. Le magazine raconte alors que le choix se fait sur son complice de toujours, père de ses enfants et ex-compagnon, Jérémie Elkaïm, et Léa Seydoux. Cependant, trois mois avant le premier clap, la star française jette l'éponge, prise par l'aventure James Bond... Après avoir rencontré huit comédiennes, l'évidence surgit : ce sera Anaïs Demoustier. L'alchimie entre les acteurs est parfaite, à tel point qu'une véritable histoire d'amour naît entre les acteurs. La comédienne est aujourd'hui enceinte de son partenaire.
Le film est en sélection officielle du Festival de Cannes mais les critiques sont dures :
- "Et c'est en empruntant ce prisme du conte de fées pop que Donzelli échappe précisément aux lourdeurs de la reconstitution en costumes. Puisque soudain tout est permis : introduction d'objets anachroniques comme emploi de musiques modernes." (Thierry Chèze/L'Express)
- "Quelque chose a sûrement pris le pli sur la raison de Valérie Donzelli, car cette romance avec un grand R est une souffrance bête et risible." (Jay Weissberg / Variety)
- "Passée la première partie, les héros passent à l'acte et le sujet bascule dans un récit insipide, jamais sulfureux ou dérangeant. Devenu trop vite banal, théâtral, dénué alors d'émotion, le film prend les allures d'une production costumée télévisuelle..." (Danielle Attali / Le JDD)
L'équipe doit digérer le choc : "On a vécu Cannes violemment, se souvient Thierry Lacaze, directeur de Wild Bunch distribution pour StudioCinéLive. Mais moins que Valérie, Anaïs et Jérémies, qui se sont sentis attaqués personnellement."
Lorsque Valérie Donzelli a présenté au Royal Monceau son film le 24 novembre, elle a expliqué que si elle a retravaillé son oeuvre, ce n'est pas à cause de l'accueil du film à Cannes. Elle avait prévu de le faire dès le début, pour couper quelques scènes et rajouter du rythme, tranquillement, après la course cannoise, car lorsqu'il est parti en sélection, le long métrage était à peine fini (chose courante lors de la sélection à Cannes). Le producteur Edouard Weil dira à StudioCinéLive : "De simples touches. Car la violence cannoise n'a pas entamé notre foi en ce film." En interview pour Première, Valérie Donzelli est revenue aussi sur son passage à Cannes : "Quand Thierry Frémaux m'a dit qu'il avait été sélectionné, j'étais ravie mais pas totalement confiante. Je compare souvent les films à des enfants : Marguerite & Julien, c'est le délinquant que personne n'a envie d'aimer. Je savais qu'il ne pouvait pas faire l'unanimité mais je ne pensais pas que les gens seraient aussi braqués, avec un rejet très moral... Mais j'ai l'impression que les gens se disaient : 'Pourquoi on aimerait ce film s'autorise des trucs ?' Comme si on n'aimait pas ce qui sort de l'ordinaire."
Accoucher d'un film et le défendre. Dans sa lutte, elle peut compter sur ses proches, notamment sa famille, comme elle le raconte dans Libération - Next : "J'ai des enfants très très gentils, très solidaires, qui m'encouragent énormément, qui s'intéressent à ce que je fais, c'est ma petite équipe." Elle ajoute, en esquissant un sourire : "Et il y a Ulysse..." On n'en saura pas plus, elle préserve son jardin secret.
Marguerite & Julien, en salles depuis le 2 décembre