Accueillie froidement à son retour de lune de miel, puisque pas moins de huit plaintes pour corruption avaient été déposées la concernant, Victoria de Suède ne devrait pas être inquiétée outre-mesure.
Et pour cause : si, sur le fond, les griefs retenus semblent examinables, voire d'intérêt public, pour ce qui est de la forme, ils sont irrecevables. Motif : les membres de la famille royale n'appartiennent à aucune catégorie d'individus susceptibles d'être poursuivis en justice pour corruption. C'est la loi, en Suède. Et c'est au regard de ce dispositif que le procureur chargé de la lutte anti-corruption Gunnar Stetler, saisi du dossier, a indiqué qu'il n'entamerait pas de poursuites contre l'héritière du trône scandinave.
Le scandale était né simultanément à un éditorial pamphlétaire de Peter Wolodarski dans le journal de référence Dagens Nyheter, dans lequel le journaliste pointait du doigt les généreux cadeaux faits à la princesse et son époux le prince Daniel par le magnat national Bertil Hult, à l'occasion de leur longue lune de miel.
Partis dans les heures qui suivirent leurs grandioses noces le 19 juin dernier, Victoria et Daniel avaient pris la direction de Tahiti. Là, Bertil Hult, président-fondateur de EF Education First, une compagnie de voyages pédagogiques et linguistiques devenue une société dégageant des milliards de chiffre d'affaires annuel dans 51 pays (employant 22 000 salariés), avait partagé quelques jours avec eux dans ce paradis et leur avait octroyé l'usage de son somptueux yacht, l'Erica XII. Après Bora Bora, les jeunes mariés avaient ensuite sillonné les Etats-Unis, utilisant le jet privé de l'homme d'affaires ainsi que sa luxueuse résidence dans le Colorado, dans les montagnes prisées de Beaver Creek, pour camp de base. Des petits conforts (en fait, une bonne partie de la lune de miel !) offerts aux mariés dont la valeur est estimée à un peu plus de 100 000 euros. Plutôt conséquent, comme cadeau de mariage.
Les largesses de Bertil Hult, qui fut élu en 2006 Suédois de l'année et donna son nom à un prix récompensant les écoles méritantes dans l'accompagnement des élèves dyslexiques (une cause au coeur des activités caritatives de Victoria, et un handicap dont Hult fut atteint), ont heurté les observateurs, en raison de ses accointances avec la famille royale. Ami du roi Carl XVI Gustaf et de sa fille, Hult entretient avec cette dernière une relation de type professionnel. D'où l'inconvenance de faveurs trop appuyées...
Le procureur a bien insisté sur la limite fixée par la législation : "La princesse Victoria a hérité de sa fonction et n'appartient donc pas à la catégorie de personnes définie par les termes de la loi sur la corruption". De là à résumer en disant qu'elle est au-dessus de lois, il n'y a qu'un pas.
Le comble, c'est que Gunnar Stetler admet que la loi a "des conséquences étranges" et invite le Parlement à se pencher sur la question ! Rappelons qu'en Suède, la famille royale n'a qu'un rôle de représentation, mais aucun rôle politique - ce qui rend son train de vie, à la charge de l'Etat et du contribuable, d'autant plus important aux yeux de l'opinion publique...
Et le procureur d'illustrer son propos par une analogie qui parlera à tous : "Si je propose un cadeau excessif au Premier ministre, je peux être poursuivi, mais si je propose un cadeau à la famille royale, je ne peux pas être puni."
Guillaume Joffroy