La polémique n'avait pas droit de cité au mariage enivrant de la princesse héritière Victoria de Suède : les rires de la mariée et la tendresse infinie et subjuguante du marié, ancien coach de gym devenu altesse royale, auraient de toute manière suffi à dissiper les controverses en ce samedi 19 juin 2010 baigné de sourire et de lumière.
Une idylle qui a magiquement surmonté la controverse (une fois de plus !)
Pourtant, à l'image des nuages qui menaçaient de déverser quelques gouttes de pluie sur le grand jour radieux de la future monarque et du nouveau prince de Suède, la controverse n'a cessé de gronder au cours des dernières semaines. En vain. Au coeur de la procession qui a mené les jeunes mariés, depuis la cathédrale Storkyrkan, jusqu'au palais royal où les attendait un accueil surréaliste d'élégance et de chaleur, la fille aînée du roi Carl XVI Gustaf et de la reine Silvia de Suède a eu une formule d'une douceur et d'une profondeur magistrales : "Mes amis, je veux remercier le peuple suédois de m'avoir donné mon prince". Allusion au triomphe de sa romance, aux allures de conte de fées, avec le provincial roturier Daniel Westling, anciennement (en 2002) son coach sportif alors qu'elle venait de connaître un terrible épisode anorexique, sur les préjugés et les réticences du monarque, soucieux de voir l'équilibre du couple et de la famille royale un jour fragilisé par le fossé culturel séparant les amoureux.
Tout au long du week-end, nous vous avons fait vivre, en récit et en (nombreuses) images de liesse et de fastes, l'atmosphère, enivrante de beauté et de démesure, de ce qui apparaît comme l'union royale la plus grandiose depuis celle de Diana et du prince Charles en 1981. Une (sur)dimension corroborée par le dispositif global de l'événement, qui a convié près de 1 100 invités de marque représentant notamment les cours d'Europe (mention spéciale à Son Altesse Sérénissime Albert de Monaco et sa sculpturale Charlene), de Jordanie (à la suite d'une Rania exemplaire de glamour) et du Japon, mobilisé 2 300 policiers pour encadrer les cérémonies, accueilli autant de journalistes pour couvrir l'événement, passionné 500 000 spectateurs (soit l'équivalent de 2/3 de la population de Stockholm, et tandis que la famille royale comptait initialement sur 250 000 adeptes!) présents dans les rues de la capitale scandinave, suscité une mise en place inédite de la télévision nationale...
La noce, comme chacun des chapitres qui l'ont composée, fut faramineuse et étourdissante, à l'image d'une Victoria sublimée par sa robe signée Pär Engsheden, faite de soie duchesse de couleur crème, complétée par des escarpins dans le même tissu (Belle de nuit, une création exclusive Roger Vivier), dotée d'une traîne longuissime (près de 5 mètres) et prolongeant la forme du voile de dentelle comparable (tout comme le diadème arboré par Victoria) à celui que sa mère Silvia portait, 34 ans auparavant jour pour jour, lors de son propre mariage.
"Faramineuse", c'est bien là que le bât aurait pu blesser gravement.
Du conte de fées aux comptes mal faits...
Car, à mesure que les préparatifs de la noce avançaient, la désapprobation gagnait du terrain parmi les citoyens suédois. Comme nous vous l'expliquions en détail, si la popularité des figures de la famille royale, et tout particulièrement de la très appréciée princesse Victoria, n'est pas sujette à caution, le régime monarchique, au sein de cet Etat moderne et à l'élan démocratique fervent, est de plus en plus décrié. Survivance d'une tradition politique obsolète, on lui reproche l'héritage du pouvoir, mais aussi l'absence, dans les faits, de pouvoir concret et d'impact sur la vie politique (le roi n'y a qu'un rôle cérémonial). Pire encore : une famille royale coûte cher à entretenir. Très cher.
10 millions d'euros. C'est ce que coûte approximativement la famille royale suédoise chaque année aux contribuables du pays. Et c'est également approximativement le budget qu'a nécessité le mariage de Victoria et Daniel. Une facture que le roi a prise en charge à hauteur de 10% (soit 1 million d'euros) et pour laquelle il a demandé un "complément" de 1,5 million d'euros auprès du gouvernement : faites le calcul, 8 millions restent sur les impôts du contribuable - NB : la Suède ne compte que 9 millions d'habitants.
Sur cette note estimée à 10,4 millions d'euros, 2,6 millions couvraient la cérémonie et les festivités, précise Le Figaro. Quid de la différence ? Il s'agit des montants engagés dans la rénovation, durant plusieurs semaines au début de l'année, de la cathédrale (1,4 million), celle du palais Haga qui doit accueillir les nouveaux mariés (4,8 millions), dans le paiement des services de sécurité (700 000 euros), etc. Un "partage" des frais qui avait de quoi refroidir les velléités de communier lors du jour J de Victoria.
Une cote de popularité menacée, une année de liesse perturbée
Du coup, en dépit du comportement relativement décent des royaux suédois (la troisième monarchie la moins chère d'Europe), leurs faits et gestesont essuyé le feu des critiques, et le mécontentement a gagné du terrain, y compris parmi les citoyens plutôt favorables à la monarchie (rappelons que moins de 50% des Suédois soutiennent désormais ce régime, et que 28% en souhaitent l'abolition). Dans le camp républicain, évidemment, la noce de l'héritière du trône a dopé les effectifs. En Suède, l'ambiguité est profonde est plaide pour le statu quo : on adore avoir une famille royale... mais on refuse qu'elle encombre la vie politique.
D'autres polémiques, mues par cette grogne, sont venues se greffer telles des épiphénomènes : il y a quelques mois, on s'en prenait au passé familial de la reine Silvia, dont le père avait été membre du parti nazi, l'obligeant à une sortie médiatique hasardeuse. Plus tôt cette année, ce sont les histoires de coeur de la fratrie princière qui ont agacé, lorsque la princesse Madeleine s'est résolue à rompre ses fiançailles à cause d'un ami volage et que le prince Carl Philip a entamé une relation avec une starlette sulfureuse. On en veut également aux jeunes mariés d'avoir écopé du Palais Haga, au coeur du parc du même nom, pour nouvelle résidence principale... ce qui a conduit à la condamnation de cet espace apprécié des habitants de la capitale, désormais partiellement interdits d'accès.
Difficile, en observant la liesse populaire, l'exaltation de tous les hôtes de prestige, et les élans de tendresse et rires francs de Victoria et Daniel, de croire qu'il y ait eu tant d'ombres au tableau.
Têtes couronnées et foule d'anonymes au rendez-vous pour une bénédiction totale et somptueuse
A 15h30 samedi, Victoria de Suède pénétrait dans la cathédrale Storkyrkan, la plus vieille église de Stockholm, au bras de son père - une coutume désuète qui a, là encore, agacé une partie des observateurs. La musique de l'office avait été confiée à Gustaf Sjökvist, organiste de la cour et de la cathédrale Parish, qui était également en charge en 1976 pour le mariage des parents de Victoria.
Après une pièce jouée par Karin Rehnqvist et un office assuré par l'archévêque Anders Wejryd, Victoria et Daniel, unis par les liens sacrés du mariage, ont écouté When You Tell The World You're Mine, interprétée en duo par Björn Skifs et la charmante popstar Agnes Carlsson (qui nous confiait l'an dernier en interview ne pas être du tout passionnée par la famille royale !).
Puis le carrosse et le cortège nuptial ont progressé à travers la ville, croisant 20 formations musicales (dont 19 militaires) menant le couple jusqu'à la barge Vasaorden qu'emprunta aussi en son temps le couple royal pour gagner le palais royal sur l'île de la cité, tandis que les officiers de la Marine nationale et 18 avions de chasse célébraient les noces selon leurs rituels.
Débarqués dans les jardins du palais, scrutés par les 600 invités du banquet nuptial (dont 98 allaient être réunis à la table des mariés) postés aux terrasses, l'héritière du royaume de Suède et son prince, qui effectueront leur lune de miel en Thaïlande, offraient à nouveau un spectacle somptueux, n'économisant pas les preuves tendres de leur apothéose.
Un spectacle que nous vous proposons d'admirer une ultime fois. Longue vie à ces mariés pas tout à fait comme les autres.
Guillaume Joffroy