VV Brown : Découvrez l'héroïne fantasque et fantastique de la pop... dans tous ses états !

Si la mode est un éternel retour, VV Brown lui fait faire plusieurs révolutions d'un coup. Il aura fallu une Amy Winehouse et un petit ami ignoble pour que cette belle plante qui ajoute à la luxuriance de son physique (1m80 d'un métissage caribéo-portoricain captivant, sans les talons de fashionista) celle de son érudition décide de s'épanouir au soleil de la scène musicale.

Auparavant, elle écrivait pour d'autres (Pussycat Dolls, Sugababes) sous le pseudo Geeki - "c'était censé être un secret, un peu éventé maintenant", nous confiait-elle récemment avec amusement. Un peu comme la rencontre fortuite, au cours d'un vol transatlantique, qui l'a amenée à être signée comme mannequin chez Next Model Management puis à faire la couverture de Vogue ou devenir ambassadrice de la marque britannique culte Marks & Spencer, l'irruption de ce nouvel ovni anachronique porte la marque de l'inéluctabilité : approchée par P. Diddy après une première expédition californienne de trois ans (offre finalement repoussée d'un gros label trop contraignant), qui la fit venir à New York dans l'espoir immodéré de la signer, cette élève modèle que son dossier scolaire prédestinait à des études de droit à Oxford, avait effrontément décliné l'offre. Pour accepter, plus tard celle d'Island Records, l'étendard marqué du sceau de Bob Marley, Grace Jones et... Amy Winehouse. "J'ai compris que cette maison était faite pour moi, analyse-t-elle pour Les Inrocks. Le succès d'Amy Winehouse fut un réel encouragement à un moment où j'étais encore en plein doute. Comme moi, elle a écouté du jazz, de la soul, et elle est parvenue à transformer ces influences en un langage personnel qui a su de surcroît toucher un large public". Précisément, quand on évoque un parallèle vintage entre la trash girl de Camden et cette aînée d'une grande fratrie rurale de Northampton, cette dernière revendique sa spécificité, et confirme que sa démarche est similaire : créer sa langue musicale. "J'aime tous les styles de musique. Abba, par exemple, étaient de grands songwriters, avance-t-elle spontanément - sans doute une réminiscence du concert hommage monumental auquel elle a pris part en septembre 2009 à Hyde Park. Je pense que je peux prendre n'importe quelle chanson et la transposer en VV-Style. C'est un vrai défi !"

Le VV-Style, indeed, crève les yeux et les tympans. Le marché de la mode, même, puisque celle qui ressuscite un style capillaire Pompadour qui n'avait sans doute plus été porté de manière aussi marquante depuis les récupérations seventies (type John Travolta dans Grease) a lancé ses créations en ligne via le site vvvintage.com.

Vierge de toute pop jusqu'à l'adolescence, voire de tout style musical autre que la musique classique qui a jalonné son enfance et habité son apprentissage de la musique, VV Brown, 26 ans, a rattrapé son retard et ne craint pas le mélange des genres (d'Aretha à Ryuichi Sakamoto), avec une marque de fabrique régalante : du savoureux oldies, oui, mais avant tout... du fun ! C'est cet ingrédient délétère, au sens où il met au supplice les frontières des genres musicaux, qui a favorisé son succès fulgurant outre-Manche.

Chez VV (pour Vanessa), surnom donné par ses proches et qu'elle a conservé ("je veux que les gens me connaissent comme leur amie ; ce surnom rend les choses plus personnelles"), le fantasque frôle la schizophrénie : en vrai, sa pose de voix, monocorde, voilée de velours enveloppant est aussi timide et vaporeuse que sa vivacité d'esprit et sa vision d'artiste est acérée, et contraste avec la gouaille groovy de son art ; en musique, son timbre, son phrasé et son son sourire sont aussi solaires que ses lyrics sont sarcastiques.

Sarcasme ? Oui, VV est langue de V-vipère. Au long de son premier album, Travelling with the light, entièrement auto-élaboré (de l'écriture à la production, en passant par l'enregistrement des pistes voix et instruments), c'est la rancoeur héritée de sa relation avec un boyfriend américain au comportement innommable qui guide la plume, acerbe et drôle. Pour Purepeople, elle avait évoqué cette blessure amoureuse, tout en restant élégant. Pour Les Inrocks, elle aura eu moins de retenue : "J'ai écrit tous les textes de mon album à l'attention d'un imbécile, d'un trou du cul dont j'étais follement amoureuse et qui s'est comporté comme un porc avec moi".

C'est d'ailleurs avec le single Crying Blood (clip ci-dessus) qu'elle s'est fait connaître et admirer en Grande-Bretagne dès novembre 2008 : "J'ai juste voulu donner l'impression que j'en avais fini avec lui ; c'est vrai qu'il a été odieux, mais, au final, je suis d'une nature optimiste". Des larmes de sang qui coulent en une lave d'acide chlorhydrique au rythme d'un doo-wap délirant et rageur soutenu par des back vocals "d'époque". Une première illustration de ce style musical mêlant allègrement 50's et sons de Game Boy dont elle est friande que l'intéressée décrit comme du "mashed potatoes" (de la purée, en gros !) et de cette féminité érigée à l'aune du Respect d'Aretha.

En France, c'est avec Leave! que VV, qui a depuis fait ses preuves au Grand Journal, à Taratata, et était reçue ce 4 mars par le 6/9 de NRJ (où elle a répété son amour pour... Super Mario !), a été entendue... sans se faire repérer : la chanson, légèrement plus édulcorée et bubble-gum pink que la précédente mais au moins aussi "wap-doo-wap", a été utilisée par la BNP pour une campagne à énorme diffusion... qui empruntait même le concept du clip (à voir ci-dessus) de VV Brown pour ses spots publicitaires !!!

Sur Travelling with the light, paru en nos frontières au mois de janvier, tout est fait pour cultiver l'addiction et désobéir à l'ordre de Leave!. VV Brown vous injecte sans prévenir un petit fix, burtal et salvateur, pour faire connaissance : Quick Fix, ambiance April March (Chick Habit) doublé de The Rock-A-Teens revisités par The 5.6.7.8's - deux marques récupérées dans l'univers tarantinesque récent : pas outrageux pour cette Pam Grier - alias Jackie... Brown - rétro-pop qui rêve de signer la bande originale d'un film...), honore l'album en expédiant son auditeur à la vitesse de la lumière dans une malle à V-vinyles exhumée de derrière une pile de Harper's Bazaar et une Nintendo 1e génération empoussiérés. Avec son roulement de tambour de cirque et le fauve rugissant qui bondit au milieu des drums tapageurs (toute caisse claire dehors) d'il y a cinquante ans et du riff suranné (doublé à l'analogique) qui pourrait bien envoyer toute la famille danser le Madison, Quick Fix injecte en formule concentrée la VV Brown, une drogue, un opium musical, qui est tout à la fois poison et paradis V-vifiant. Puis Game Over, épais et beatesque comme le fameux Battle Without Honor or Humanity de Tomoyasu Hotei repris sur la B.O. de Kill Bill (et au générique de Téléfoot), avec ses cuivres motown et son feeling rock, donne un aperçu de l'ampleur de la palette, à l'instar du track suivant, Shark in the water, agité de remous caribéens (notez le riff discret comparable au thème du Stars are blind de Paris Hilton, un bon indice du degré de fantaisie de cet album qui fait déjà date)... Copieux avant-goût en vidéo dans la galerie ci-dessus.

Une rétro-pop moderne sans Dieu ni maître, fashionissime, arty et fun ? Just VV-it !

Guillaume Joffroy