Sur la couverture du magazine Télérama, le ton est donné. L'actrice Adèle Haenel, César de la meilleure actrice pour Les Combattants et du meilleur second rôle pour Suzanne, trône sur le papier glacé avec une phrase choc : "Le cinéma blanc et masculin, j'en ai marre." C'est que la comédienne de 27 ans dit ce qu'il y a au fond de sa tête et de son coeur, proposant des réflexions sur son métier comme sur la société.
Du cinéma français, elle se réjouit de deux films en particulier : Fatima de Philippe Faucon et Much Loved de Nabil Ayouch, en lice pour les César. Elle se ravit que le 7e Art s'empare de sujets tels que l'oppression sociale et la place de la femme et annonce : "C'est vrai que le cinéma blanc et masculin, j'en ai marre. C'est pour ça que je ne veux pas aller voir Le Pont des espions, de Spielberg, qui est peut-être très beau, mais c'est quoi ces mecs quimettent des chapeaux et viennent sauver la planète ? Si on arrêtait de montrer toujours les mêmes personnages peut-être que cela changerait le public..."
N'ayant pas peur d'écorner l'aura du metteur en scène hollywoodien, ni celle d'icônes du cinéma avec lesquelles on compare souvent les comédiennes qui arrivent dans le milieu, elle rappellera aussi ce qu'elle avait dit quand elle a reçu, en 2015, le prix Romy-Schneider : "J'ai un peu cassé l'ambiance en disant que je n'avais vu aucun de ses films. C'était de la provocation, mais se mettre dans une filiation, c'est se planquer. Dans quinze ans, j'aurai peut-être changé d'avis mais, aujourd'hui, cela ne m'intéresse pas de savoir à qui je fais écho dans les époques précédentes, car j'appartiens à cette époque-ci."
Pas besoin de la comparer, le talent de celle qui a explosé dans Naissance des pieuvres réalisé par sa compagne Céline Sciamma est unique. Et elle a bien failli suivre une voix radicalement différente : "J'ai tenté HEC, mais j'ai raté le concours, ce qui s'est finalement avéré une très bonne nouvelle, mais pas sur le coup. Maintenant, je m'en fous, j'ai fait un chemin, mais, à ce moment-là, je pensais au chômage et c'était monstrueux, avec cette idée horrible qu'on répète aux gens qui n'ont pas de travail : 'Si tu es au chômage, c'est que tu l'as un peu voulu.'"
Dans son dernier film, réalisé par Léa Fehner, Les Ogres, elle est dans la peau d'un personnage à des années-lumières aussi de l'univers des écoles de commerce et de ceux qu'on forme dans ces établissements puisqu'elle est comédienne itinérante. En salles le 16 mars.