En 1959, Albert Uderzo et René Goscinny créént les aventures d'Astérix, un petit Gaulois malin qui tient tête en l'invasion de son village par Jules César. En 1977, le scénariste Goscinny s'éteint et Uderzo poursuit seul cette formidable épopée. Astérix, ce sont près de 35 aventures, 350 millions d'albums écoulés et traduits en 111 langues, un parc, huit dessins animés et quatre films live dont le dernier, God Save Britannia, est en tournage sous la direction de Laurent Tirard. Si l'aventure est belle, en coulisses, Albert Uderzo, 84 ans, et sa fille Sylvie se déchirent.
Bettencourt bis...
Leur conflit est ancien, profond et atteint son paroxysme le 15 février dernier : Sylvie Uderzo, la fille unique du dessinateur, porte plainte contre X pour abus de faiblesse. La plainte est déposée au parquet de Nanterre, dirigé par Philippe Courroye , qui connaît bien ce domaine pour avoir été saisi de l'affaire Bettencourt... avec l'insuccès que l'on connait ! La fille de Liliane Bettencourt a aujourd'hui retiré sa plainte d'abus de faiblesse - enfin, une autre plainte est sur le feu ! - et s'est, plus ou moins réconciliée avec sa mère.
Sylvie Uderzo accuse les proches - un ancien avocat, un notaire, l'expert-comptable et le directeur général de la maison d'édition qu'il a fondée à la mort de Goscinny, les Éditions Albert René - de son père d'organiser "une stratégie d'éloignement et de rupture" entre elle et son père.
Le Nouvel Observateur se penche sur cette bataille familiale. Nos confrères ont recueilli les mots très durs de Sylvie Uderzo : "J'assume cette plainte. Je n'ai jamais dit que mon père était sénile. Je refuse d'attaquer sa personne. Mais il est malade. Il dilapide sa fortune. J'ai un patrimoine qui part chez les autres. Autour de lui, ça grouille de gens qui se servent au détriment de mes enfants. Je veux qu'ils payent. Et s'ils doivent aller en prison, qu'il y aillent. Par amour pour un père qui me prenait pour une conne, je n'ai pas fait d'études. Je voulais dessiner. Il m'a dit que je n'avais pas le talent pour. Et j'ai attendu d'avoir 40 ans pour prendre des cours à l'école du Louvre ! Pendant vingt ans, j'ai travaillé pour lui et mis de côté ma vie pour son oeuvre. À 54 ans, j'ai un problème d'identité personnelle parce que j'ai trop longtemps joué la petite fille derrière papa. Ça suffit. J'en suis arrivé au point de non retour." Albert Uderzo confie ne pas "mériter ça" et se déclare prêt "à recevoir tous les psys du monde".
Mon gendre... ce gourou !
Si Sylvie Uderzo pointe du doit l'entourage de son père, ce dernier réplique en accusant son gendre de la manipuler : "Je ne voudrais pas relancer une affaire contre ma fille elle-même, explique Uderzo au Nouvel Obs'. Je considère qu'elle a subi une contrainte épouvantable, et est dirigée par un gourou, son mari." Le mari en question est Bernard de Choisy qui se fiance avec Sylvie en 1991 et l'épouser en 1995. Albert Uderzo a depuis déchiré toutes les photos de la noce.
Les relations entre les parents de Sylvie et leur gendre se dégradent rapidement. Dès 1996, quand Bernard de Choisy contracte un emprunt de 1 500 000 francs avec ses beaux-parents comme caution. Il ne rembourse pas. Une première brouille éclate mais de courte durée. En 2001, Albert Uderzo lui confie de nouveau des missions de développement, communication et marketing. Pendant ce temps, Sylvie Uderzo grimpe les échelons aux Éditions Albert René (AER) : elle y entre comme directrice de la communication en 1986 et devient sa directrice en 1992.
Bernard de Choisy prend de plus en plus de place dans la société. Il "se déploie, donne des ordres, se mêle de tout", écrit notre consoeur. Derrière son dos, on le baptise Iznogood, celui qui veut être calife à la place du calife. En 2007, Albert Uderzo met fin à son contrat et licencie sa fille pour faute grave. L'affaire se règle aux Prud'hommes : en mars 2009, le tribunal entend Sylvie Uderzo en ne retenant pas la classification en faute grave et en condamnant l'entreprise à lui verser 270 000 euros - soit les indemnités prévues par le dispositif légal -, il l'a en revanche déboutée des dommages et intérêts complémentaires qu'elle demandait.
Le contrôle du petit Gaulois
Au coeur de cette brouille la cession des 40% d'EAR d'Albert Uderzo à Hachette qui devient, avec les 20% rachetés à la fille de René Goscinny, l'actionnaire principal. Sylvie Uderzo détient les derniers 40%. Le contrôle d'Astérix lui échappe alors elle tente de faire annuler la cession sans succès. Elle s'engage dans une bataille médiatique en racontant à la télévision les problèmes de la famille Uderzo jusqu'à cette plainte pour abus de faiblesse déposée en février dernier. Le parquet va explorer les comptes de toutes les personnes mises en cause par Sylvie Uderzo. Après quoi les protagonistes de l'affaire seront entendus.
Le papier d'Agathe Logeart dans le Nouvel Observateur se termine sur cette dernière information : le 16 mars, Sylvie Uderzo a vendu ses parts des Editions Albert-René pour un montant évalué à 13,6 millions d'euros. Pour réaliser cette opération, l'héritière avait besoin de l'accort de son père qu'elle a obtenu... Ni la santé mentale, ni le libre arbitre d'Albert Uderzo n'ont été mis en cause.
Retrouvez l'intégralité de cette passionnante enquête d'Agathe Logeart dans Le Nouvel Observateur, en kiosques le 8 juin 2011.