Justiciable, comme n'importe qui. Les traits tirés, le visage éteint, Cristina d'Espagne, la fille cadette du roi Juan Carlos Ier et de la reine Sofia, s'est installée lundi 11 janvier 2016 sur le banc des accusés au tribunal à Palma de Majorque, au premier jour du procès de l'affaire Noos. Parmi les autres prévenus, dont, en particulier, son mari Iñaki Urdangarin, ancienne gloire du handball espagnol qui doit désormais répondre de détournement de fonds, fraude fiscale, trafic d'influence, escroquerie et blanchiment d'argent, et encourt jusqu'à 19 ans et demi de prison pour ces chefs d'inculpation.
Soeur du roi Felipe VI, qui a prudemment pris ses distances avec elle en raison de ce scandale qui a éclaté plusieurs années avant le début de son règne en juin 2014 et l'a déchue l'an dernier de son titre ducal, l'infante de 50 ans, visée "seulement" pour fraude fiscale (elle est soupçonnée d'avoir sciemment dissimulé des sommes détournées par son époux), s'est présentée vers 8h15 au tribunal avec Iñaki (47 ans), son mari depuis octobre 1997 et le père de leurs quatre enfants (Juan, 16 ans, Pablo, 15 ans, Miguel, 13 ans, et Irene, 10 ans). Lui aussi, mine creusée et chevelure grisonnante, a pris un terrible coup de vieux depuis l'éclatement de l'affaire en place publique en 2011... Lundi, pas loin d'une centaine de médias, nationaux et internationaux, faisaient le pied de grue pour couvrir l'ouverture de ce procès historique impliquant, pour la première fois, un membre de la famille royale.
A l'intérieur de la salle d'audience, installée au sein de l'Ecole d'administration publique des Baléares, dans la banlieue de la capitale régionale, les conjoints, tous deux en costume sombre, ont comme il se doit été installés à distance respectable l'un de l'autre ainsi que des seize autres prévenus, parmi lesquels figure Diego Torres, l'ancien associé d'Iñaki Urdangarin à la tête de l'Instituto Noos. Créé à des fins d'organisation d'événements dont un grand congrès touristique dans les Baléares, cette fondation à but non lucratif avait été utilisée par les deux hommes pour détourner près de 6 millions d'euros en surfacturant des contrats avec les gouvernements régionaux des Baléares (2,5 millions) et de Valence (3,5 millions). Les bénéfices indûment réalisés étaient répartis entre plusieurs sociétés-écrans dont Aizoon, propriété de Cristina et d'Iñaki, qui aurait financé des dépenses personnelles du couple, pour des voyages, travaux ou cours de danse... Les anciens "complices" risquent fort de se livrer devant les juges une bataille acharnée au vu des révélations faites par Torres au cours des investigations, qui ont duré plusieurs années : tandis qu'Iñaki Urdangarin s'évertuait à innocenter son épouse en assurant que l'infante n'était en rien au courant de ses activités, son ex-associé, à coups de divulgation de mails et de déclarations, les chargeaient tous deux, et même le roi Juan Carlos Ier, qui, selon lui, ne pouvait pas ignorer certains arrangements... Il a d'ailleurs réaffirmé ces propos dimanche, déclarant à la télévision que les représentants du palais royal vérifiaient "ce qu'ils faisaient, les guidaient". Au procès, son avocat a demandé à ce titre la comparution en tant que témoins des rois Juan Carlos Ier et Felipe VI.
Lors de cette audience préliminaire, les avocats de l'infante ainsi que le procureur ont d'emblée dégainé leur arsenal juridique pour tenter de la tirer au plus vite de ce mauvais pas et faire annuler les poursuites la visant. On se souvient que la mise en examen de la fille du roi avait fait l'objet d'un véritable feuilleton, prononcée une première fois par le juge Jose Castro, invalidée puis actée définitivement quelques mois plus tard tandis que son cas agitait médias et opinion publique. Cristina et ses conseils espèrent profiter de la relative faiblesse de l'accusation la concernant, puisque seule l'association d'extrême-droite Manos Limpias (Mains propres) représente l'accusation publique, demandant huit ans de prison à l'encontre de l'infante. Mais ni le parquet, ni l'Etat n'ont exigé de poursuites au nom du Trésor public, victime de la fraude présumée.
"Nous demandons respectueusement (...) la nullité de l'acte de l'accusation concernant Cristina de Bourbon", a ainsi déclaré, selon l'AFP, un de ses avocats, Jesús María Silva, invoquant notamment la "jurisprudence Botin" en référence au non-lieu validé en 2007 par la Cour suprême en faveur du puissant banquier Emilio Botin. Une défense étayée par l'avocate du Trésor public ainsi que le procureur, lequel a assuré disposer d'un nouveau rapport prouvant que l'infante n'était pas coupable de fraude fiscale. Face à la vindicte brandie par l'avocate de Manos Limpias, Virginia López Negrete, qui entend faire du procès Noos un exemple dans "la lutte contre la corruption et contre les élites" alors que l'opinion publique est excédée par les affaires en cascade, l'infante Cristina est-elle en ballottage favorable ?
La paria de la famille royale, qui vit exilée à Genève (où elle poursuit ses activités de cadre de la Fondation La Caixa) depuis 2013 et a vendu sa propriété cossue du quartier chic de Pedralbes (Barcelone), doit à présent s'armer de patience : au terme de l'exposé des questions préliminaires, les trois juges - Samantha Romero, Eleonor Moya et Rocio Martin - disposent de quatres semaines de réflexion pour arbitrer, avant la reprise du procès prévue le 9 février et les citations à la barre, jusqu'au 26. Les débats devraient ensuite durer des mois. Sous l'oeil inflexible du roi Felipe VI, dont le portrait officiel domine la salle d'audience.