Johnny Hallyday et son producteur Pierre-Alexandre Vertadier avaient promis un spectacle colossal. Il y a évidemment ce que l'on voit sur scène, le rockeur et ses musiciens, veillés par une tête de mort de 500 kilos et des écrans extraordinaires qui se déplacent en offrant une perspective irréelle. Mais en coulisses, c'est une ruche, une fourmilière, où travaillent plus d'une centaine de personnes dans un ballet réglé au millimètre.
Sur scène, 12 musiciens, quatre choristes, un seul Johnny Hallyday. Mais pour que la magie opère, 104 personnes les suivent sur les routes. À chaque étape, 50 roadies locaux supplémentaires participent au montage, 74 au démontage. Leur salaire brut est de 170 euros pour huit heures de travail. Le matériel est stocké dans 20 semi-remorques, le personnel voyage dans quatre tour-bus. Eric Bureau, du Parisien, a assisté aux deux concerts d'Amnéville, les 17 et 18 novembre.
Il rejoint les techniciens Gare de Lyon, à Paris, le lundi 16 novembre à minuit pour prendre la route. À 5h30, le mardi, l'équipe du catering, confié à l'entreprise grenobloise Egg Cetera, se lève pour préparer le petit-déjeuner. Au Galaxie, la salle qui accueille le spectacle, la cuisine est vide - comme partout ailleurs. L'équipe arrive donc avec ses fours et ses frigos. Il faut aussi monter une cuisine où seront élaborés 90 couverts pour le déjeuner et 130 pour le dîner. "Tout est frais et préparé sur place, y compris les desserts, glisse le chef. Johnny est comme la plupart des chanteurs, il mange peu avant les concerts. Une soupe, du chou rouge, une macédoine de légumes, des pâtes très pimentées, c'est tout."
Dans la salle, le montage a débuté la veille. Des roadies engagés dans la région ont déjà vidé les camions. La scène est sur roulettes, ce qui permet aux techniciens de monter en même temps les lumières et les écrans - qui pèsent à eux seuls 45 tonnes. L'installation de ces écrans, ainsi que des régies son et lumières est confiée aux spécialistes. À 14h, tout est terminé. Les musiciens entrent en scène. À 17h, ce sont les balances, dirigées par Yarol Poupaud, directeur artistique et guitariste du Rester Vivant Tour, et l'ingénieur du son Mike Marsh. Tous les instruments, dont les quarante guitares du spectacle, sont entreposés dans leur nid, sous la scène. C'est de là que les techniciens en charge de ces instruments suivent le show, prêts à intervenir si un micro lâche ou si une corde se casse. Dans la loge réservée aux musiciens, Yarol Poupaud trimballe une platine vinyle sur laquelle il joue des 45 tours des Rolling Stones et de Johnny achetés à chaque étape de la tournée.
Chris, un jeune Néerlandais, est placé derrière la scène. C'est lui qui pilote les 834 écrans vidéo du spectacle. Les lumières sont l'oeuvre de Dimitri Vassiliu (fils du chanteur Pierre Vassiliu, disparu l'année dernière). Celui qui fait toutes les plus grandes tournées françaises évoque le travail titanesque que représente un spectacle de Johnny Hallyday : "J'y tiens car c'est un an et demi de travail en amont, avec une scénographe. Tout ce que l'on voit sur scène est évidemment programmé, mais on le déclenche et on l'anime à la main."
Patrick fait lui partie des habitués. Ancien membre du fan club du rockeur, il se retrouve par un heureux hasard à gérer son prompteur, un soir de 1981. Johnny, actuel n° 1 des ventes avec son album De l'amour, y a recourt depuis 1979. Sur des écrans incrustés dans la scène, les paroles de ses chansons défilent en direct, en cas de trou de mémoire. Sur le côté de la scène, Patrick suit le spectacle à la seconde près sur deux ordinateurs - au cas où l'un des deux lâche. Parmi les autres fidèles de Johnny Hallyday en tournée, il y a Roger Abriol, ingénieur du son en 1974 et désormais directeur de production, mais aussi Mathieu André, son coiffeur, et Nelly, son habilleuse. "Johnny m'est fidèle et je lui suis en retour, dit celle qui a aussi travaillé pour Barbara et Mylène Farmer. Je partage son intimité depuis vingt-cinq ans. Il faut être discret, sinon cela fait longtemps que j'aurais été éjectée."
Le travail commence pendant le second concert de Johnny à Amnéville. Il est sur scène quand on s'active pour défaire la cuisine du catering, par exemple. Dès qu'il a quitté la scène, les roadies envahissent les lieux pour tout démonter. À Nice, après les deux premiers shows de la tournée, les techniciens avaient mis 8h30. Ce mercredi soir à Amnéville, seulement 4h sont nécessaires pour vider la salle et charger les camions.
Johnny Hallyday, souffrant, n'ira pas manger au restaurant avec son équipe. Le rockeur rejoint son jet sous escorte policière. Très touché par les attentats qui ont eu lieu quelques jours plus tôt à Paris, le rockeur s'en est rendu malade. Les techniciens rejoignent la Belgique dans leur bus. Les musiciens dorment sur place et partiront en train le lendemain. Un concert du chanteur sera justement annulé à Bruxelles pour raison de sécurité. À Amnéville, les attentats du 13 janvier étaient dans l'esprit de tous les roadies et occupaient toutes leurs conversations. "Je ne m'en remets pas, explique Christian, l'un d'eux, au Parisien. Nous avions tous des potes au Bataclan. C'est ma famille." Ce reportage du Parisien rend hommage au travail de l'ombre de ces intermittents du spectacle.
Le Parisien, en kiosque ce 24 novembre 2015.