Judith Godrèche a irradié les écrans dès les années 1980 avec des films comme La Désenchantée ou La Fille de 15 ans. Derrière ses oeuvres marquantes du cinéma d'auteur français se cachent une autre histoire, le vécu de l'actrice alors adolescente. Présentée comme muse du cinéaste Benoît Jacquot, elle s'affiche aujourd'hui comme son objet, expliquant avoir été sous l'emprise d'un homme de 25 ans son aîné. Dans ses interviews aujourd'hui, elle parle d'abus sexuels et de violences contre une enfant de 15 ans. Le Monde a enquêté sur l'affaire et relate le récit glaçant de ce qu'elle aurait vécu. La justice sollicitée par une plainte de l'actrice va faire à présent son travail, même si plane la prescription des faits.
Pour la promotion de sa mini-série Icon of French Cinema, Judith Godrèche avait abordé sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot. Jusqu'à ce jour, elle était dite "en couple" avec cet homme durant son adolescence et on parlait déjà de cet appartement acheté ensemble quand elle avait seulement 15 ans, émancipée par ses parents. Récemment, elle a revu un extrait d'un documentaire réalisé par le psychanalyste Gérard Miller - accusé lui d'agressions sexuelles par plus de 40 femmes aujourd'hui -, L'Interdit. Il a interrogé Benoît Jacquot qui fait un état effarant de son cinéma, décrit comme un "trafic illicite de mineurs".
Judith Godrèche faisait donc partie de ces jeunes comédiennes qu'il aurait "consommées". Il se présente comme un amoureux sous l'emprise d'une demoiselle. Elle le décrit comme un prédateur dans le texte préparatoire à son audition à la brigade de protection des mineurs de la PJ : "Je ne voulais pas de son corps. Très vite, il me dégoûtait." L'artiste de 51 ans et mère de deux enfants - Tess Barthélémy et Noé Boon - s'est confiée sur France Inter à propos de cette emprise, évoquant aussi le nom d'un autre réalisateur contre lequel elle a aussi porté plainte, Jacques Doillon.
C'est à 14 ans qu'elle le rencontre au cours d'un casting. Benoît Jacquot lui demande rapidement si elle a un amoureux, se souvient-elle pour Le Monde. Sur le tournage des Mendiants, le réalisateur déplace Judith Godrèche vers son hôtel, non loin de sa chambre, alors que les autres enfants logent ensemble dans "la maison des enfants", ce que confirmera un autre jeune du film, Philippe Lévy. L'ado Judith sera témoin d'une dispute violente avec Dominique Sanda, compagne de Benoît Jacquot à l'époque, qu'elle aurait vu se faire "traîner par les cheveux en direction de leur chambre".
Après ce film, il aurait continué à la voir, allant la chercher au collège (elle est en troisième) pour partager une séance de cinéma. Ou pas. "Dans le noir de la salle de cinéma où ils sont assis côte à côte, Benoît Jacquot 'prend ma main et la pose sur son sexe', relate l'actrice. Il l'informe qu'il est 'pervers' – 'à 14 ans, on n'a aucune idée de ce que ça veut dire, pervers'", écrit Le Monde. En vacances au ski, à Courchevel chez lui comme le suggère Benoît Jacquot, Judith Godrèche voit ce qui est annoncé comme une soirée pyjama avec le fils de sa compagne de l'époque, Dominique Sanda, se transformer radicalement : "Je me souviens d'un grand lit, je suis entre Yann et Benoît. Benoît me force à coucher avec lui, pendant que Yann dort dans le même lit."
Vient la violence physique présumée dans leurs rapports. Sa première fois ? "Son corps et son sexe sont ceux d'un adulte. Tout est fait comme un adulte. Je n'ai aucun souvenir d'être embrassée. C'est comme s'il n'y avait aucune tendresse." "Mes joies et mes douleurs sont suspendues à ses humeurs et à son contrôle, dès qu'il le perd, il se durcit et devient cruel", dira-t-elle.
Ce qu'il présente comme des jeux sexuels sont des scènes de coups de fouet alors qu'elle est attachée : "Ce n'est pas drôle, ça fait mal. Je le laisse m'attacher aux barreaux de la mezzanine avec la ceinture de son peignoir." Les détails donnent froid dans le dos : "Pour mes 15 ans, il décide que je dois jouir quinze fois, je n'ai pas le choix. Je fais semblant le plus vite possible." Ses règles ne ralentissent pas le nombre de rapports et deviennent même bucco-génitaux obligatoirement durant cette période, sans compter les fellations à répétition. Sa meilleure amie confiera au Monde les rapports sexuels brutaux qu'elle subissait.
Après ces fameux César en 1991 durant lesquels elle est citée par inadvertance comme gagnante du prix du meilleur espoir par Vanessa Paradis, elle aurait été giflée par le metteur en scène car elle aurait été "pitoyable", confie aujourd'hui sa meilleure amie.
La brutalité s'accentue la dernière année de leur couple, des violences reconnues par une amie de Pascal Bonitzer, proche de Jacquot.
Il faudra que Judith Godrèche aille aux Etats-Unis pour entendre un soutien, même furtif quand elle se fait "cogner" par Benoît Jacquot car elle a fait trop de bruit avec la paille de son coca. Une passante sur Broadway lui intime en anglais : "Ça va, ma chérie ? Tu ne devrais pas laisser quelqu'un te traiter comme ça." D'après les propos de la comédienne, le réalisateur avait régenté sa vie en l'isolant socialement. Ses parents ne réagissent pas et acceptent l'émancipation de leur fille, un aveuglement que sa mère regrettera amèrement. On apprend qu'à ce moment, elle ne prend pas la pilule car le réalisateur le lui aurait interdit.
Benoît Jacquot "nie les allégations et accusations de Judith Godrèche. Il affirme que leur première relation sexuelle a eu lieu après qu'elle a eu 15 ans – l'âge de la majorité sexuelle à l'époque – et non avant comme l'affirme la comédienne", écrit Le Monde qui l'a contacté. Concernant son goût pour la violence, le cinéaste l'assume : "très partie prenante d'une bande qui sévissait, et qui avait un rapport aux filles extrêmement clanique, violent, ségrégatif, hostile. Il y avait dans les années 1960 ce phénomène des tournantes [soit des viols collectifs] dans les bandes, qui était presque comme un rituel. Personnellement, je n'y participais pas, car j'en étais incapable, mais j'y étais très lié."
Cependant, il dément toute forme de violence envers Judith Godrèche qu'il dit avoir été consentante. Elle le quittera pour de bon en 1992.
Benoît Jacquot reste présumé innocent des accusations à son encontre jusqu'à la clôture définitive du dossier par la justice.