"Vous tous ici présents, députés et sénateurs, êtes unis dans l'obligation de contribuer de manière déterminante et efficacement à surmonter la crise et à enrayer ses conséquecnes négatives sur les citoyens" : le roi Juan Carlos Ier d'Espagne a bien pesé ses mots et la tâche qui attend les parlementaires ibériques, mardi 27 décembre 2011, inaugurant la dixième législature que connaît le pays depuis la chute de Franco et l'instauration de la démocratie. Et il a reçu, ainsi que son épouse la reine Sofia, le prince Felipe et la princesse Letizia, une standing ovation appuyée, longue de deux minutes d'applaudissements nourris, de la part des 350 députés et 264 sénateurs sortis des urnes le 20 novembre dernier. Un gage d'affection inouï, après un discours d'introduction du président de l'assemblée mettant en exergue le règne impeccable de Juan Carlos depuis 36 ans, qui sonnait comme une manifestation de soutien alors que la famille royale est secouée par le scandale Noos.
Quelques jours après avoir salué le gouvernement sortant de José Luis Zapatero, puis avoir reçu la prestation de serment du nouveau gouvernement formé et mené par Mariano Rajoy, le monarque adulé des sujets espagnols a réitéré une partie des thèmes forts de son discours de Noël, adressé à ses compatriotes dans une allocution télévisée samedi, soulignant notamment la nécessité de "restaurer la confiance dans les institutions", insistant sur le fait qu'aucune personnalité publique n'est au-dessus des lois, sous le regard de son épouse la reine Sofia, de leur héritier le prince Felipe et de l'épouse de ce dernier, la discrète et élégante Letizia.
Une priorité qui pointe les questions de corruption dans la sphère politique, mais fait surtout évidemment écho au scandale sans précédent au coeur duquel se trouve le gendre du roi, Iñaki Urdangarin, soupçonné d'avoir détourné des fonds publics par le biais de l'Instituto Noos, une association à but non lucratif qu'il présida de 2004 à 2006 alors qu'elle était en charge de l'organisation du Forum des Iles Baléares - une prestation facturée abusivement 2,3 millions d'euros. Eclaboussé par l'affaire, le roi Juan Carlos, qui aurait à l'époque intimé, ayant eu vent de pratiques douteuses, au mari de l'infante Cristina sa démission en 2006 (après quoi, l'infante, son mari Iñaki et leurs enfants s'installèrent à Washington), n'a pas tardé à agir : il a ainsi exclu Iñaki Urdangarin des activités officielles de la famille royale jusqu'à nouvel ordre, l'accablant même en stigmatisant son "comportement pas exemplaire" (l'ancien associé du duc de Palma de Majorque a déjà été inculpé, et on attend le début de l'année 2012 pour savoir si la suite des investigations, qui avaient notamment mené à la saisie de documents à charge dans les locaux de Noos, aura des conséquences pour Iñaki).
Car si le roi jouit d'une cote de popularité exceptionnelle, pour services rendus depuis la chute de la dictature franquiste, ce dossier fait salement tache, surgissant dans un contexte économique oppressant pour les Espagnols, frappés par un taux de chômage à 21,5%. Et c'est possiblement du côté de cette embarrassante affaire Noos que se trouve l'explication à l'absence étrange des deux filles du roi Juan Carlos, l'infante Elena et l'infante Cristina. Présentes à cette cérémonie il y a quatre ans lors de l'inauguration du précédent mandat parlementaire, l'aînée et la cadette du couple royal brillaient par leur absence, pour la première fois depuis 1979, selon une information de l'AFP, que les médias ont rapidement imputée au dossier Noos. Concernant l'infante Cristina, l'hypothèse est acceptable ; pour ce qui est d'Elena en revanche, la corrélation semble peu évidente... Le palais, pour sa part, s'est borné à dire que les deux princesses étaient invitées à la cérémonie mais avaient choisi de décliner, "pour différentes raisons". On n'en saura pas plus.
Le roi Juan Carlos a néanmoins pu se reposer comme souvent sur son fils et successeur, le prince Felipe, qu'il avait couvert de louanges dans son discours du soir de Noël en évoquant ses soucis de santé de l'année et la sollicitude des Espagnols, comme pour préparer le terrain en vue du passage de témoin : "A cette période, j'ai pu apprécier, et même plus, la rigueur et l'application avec laquelle mon fils, le prince des Asturies, m'a secondé en tant qu'héritier de la couronne au service des Espagnols et de l'Espagne, de sa démocratie, de sa justice, de ses libertés, de son unité et de sa diversité, et de la défense de ses intérêts dans le monde."